Page:Hetzel - Verne - Magasin d’Éducation et de Récréation, 1903, tomes 17 et 18.djvu/76

Le texte de cette page a été corrigé et est conforme au fac-similé.
68
JULES VERNE

tenancier et à son aide, qui s’empressaient pourtant de servir leur grossière clientèle. Puis, çà et là, éclataient des disputes violentes suivies d’un échange de coups. C’était ce que Harry Markel redoutait le plus, car le tapage eût attiré les policemen de garde dans le quartier, et ces malfaiteurs auraient alors couru le sérieux risque d’être reconnus.

La conversation reprenant entre ces trois hommes, John Carpenter dit :

« Pourvu que Corty ait pu trouver un canot et s’en emparer !

— Ce doit être fait à cette heure, répondit le capitaine. Dans un port il y a toujours quelque embarcation qui traîne au bout de son amarre… Il n’est pas difficile de sauter dedans… et Corty doit l’avoir conduite en un endroit sûr…

— Mais les sept autres ?… demanda Ranyah Cogh. Auront-ils pu le rejoindre ?…

— Sans doute, répliqua Harry Markel, puisque c’était convenu, et ils resteront à surveiller le canot jusqu’au moment de nous y embarquer…

— Ce qui m’inquiète, fit observer le cuisinier, c’est que nous sommes ici depuis une heure, et Corty n’est pas encore là !… L’aurait-on arrêté ?…

— Et ce qui m’inquiète bien davantage, déclara John Carpenter, c’est de savoir si le navire est à son mouillage toujours…

— Il doit y être, répondit Harry Markel, car il était prêt à lever l’ancre ! »

Nul doute que le projet du capitaine et de ses compagnons ne fût de quitter le Royaume-Uni, où ils couraient tant de dangers, et même l’Europe, pour chercher asile de l’autre côté de l’Océan. Mais dans quelles conditions espéraient-ils mettre ce projet à exécution et comment parviendraient-ils à s’introduire sur un bâtiment en partance ?… Il semblait bien, d’après ce que venait de dire Harry Markel, qu’ils avaient ce bâtiment, et qu’ils comptaient le rejoindre avec l’embarcation préparée par leur camarade Corty. Est-ce que leur intention était de se cacher à bord ?…

C’était là une grosse difficulté. Ce qui est peut-être possible à un ou deux hommes ne l’est plus à dix. Se fussent-ils glissés dans la cale, en admettant qu’ils eussent pu le faire sans être aperçus, on n’aurait pas tardé à les découvrir et leur présence aurait été immédiatement signalée à Queenstown.

Aussi Harry Markel devait-il avoir en vue une autre manière de procéder plus pratique et plus sûre. Mais laquelle ?… Avait-il pu s’assurer la complicité de quelques matelots de ce bâtiment à la veille de prendre la mer ?… Ses compagnons et lui étaient-ils certains d’avance d’y trouver refuge ?

Du reste, dans la conversation qui se tenait entre ces trois hommes, pas un mot n’avait été prononcé qui eût permis de connaître leur projet. Comme ils se taisaient dès qu’un des clients du Blue-Fox s’approchait de leur table, ils ne se fussent pas laissé surprendre.

Cependant, après avoir répondu ainsi qu’il a été dit au maître d’équipage, Harry Markel était redevenu taciturne. Il réfléchissait à leur situation si dangereuse, dont le dénouement approchait, quel qu’il fût. Sûr des renseignements qui lui étaient parvenus, il reprit :

« Non… le navire ne peut pas être parti… Il ne doit appareiller que demain… En voici la preuve… »

Harry Markel tira de sa poche un morceau de journal, et, à la rubrique des nouvelles maritimes, il lut ce qui suit : « l’Alert est toujours à son mouillage de la baie de Cork, dans l’anse Farmar, prêt à appareiller. Le capitaine Paxton n’attend plus que l’arrivée de ses passagers pour les Antilles. Le voyage d’ailleurs ne subira aucun retard, puisque le départ n’aura pas lieu avant le 30 courant. Les lauréats d’Antilian School embarqueront à cette date, et l’Alert mettra immédiatement à la voile, si le temps le permet. »