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— Oui… à dix kilomètres d’ici… Nous allons à Hourtins ! Il n’y a pas de bourg plus proche dans le pays…

— Et vous y allez par tous les temps ?

— Il le faut bien !… Nous déjeunons là-bas, et nous ne rentrons que le soir… »

L’enfant gâté n’en revenait pas. Lui qui s’estimait si malheureux, l’hiver, de quitter la tiédeur douillette de son édredon pour descendre dans la salle d’études bien chauffée !

Estèphe se dépêchait ; son compagnon l’imita, puis, après une courte prière, les deux garçons sortirent de la cabane…

L’orage avait fui !… le soleil brillait, le ciel était bleu… Osmin aiguisait son hapchot près de la petite mare aux roseaux qui avait donné son nom à la maisonnette ; sa femme lavait du linge et Véronique donnait à manger aux poules, descendues du chêne où elles perchaient, le soir, hors de l’atteinte du renard.

Toute la gent emplumée caquetait, se racontant sans doute les émotions de la nuit ; dans un appentis voisin, grognait l’espoir encore maigre du prochain hiver : des lapins, les oreilles tombantes, l’œil peureux, se régalaient de feuilles de choux.

La fillette, sa distribution finie, inspecta son jardinet : quelques pieds d’alouettes et un géranium dans une marmite trouée, et, avec des tendresses de mère, elle releva les tiges couchées, enleva les branchettes cassées, tout en croquant de bel appétit le solide morceau de pain que sa mère venait de lui donner.

En apercevant les garçons, elle courut chercher leur part sur le buffet de la salle. Riquet remercia et mordit de bon cœur dans la croûte dure : pour un peu, il aurait trouvé que ce pain de campagne avait plus de saveur que le croissant doré de son chocolat du matin.

« As-tu vu la mer, Henri ? demanda Véronique.

— Non…

— Suis-moi !… Je vais te la présenter. »

Ils escaladèrent une butte de sable et, tout à coup, Riquet aperçut l’Océan qui décrivait comme une courbe autour de lui.

L’eau était glauque sur le bord, bleu d’outremer à l’horizon ; des vagues énormes déferlaient sur la plage de sable fin, jonchée de varech et de longs rubans verts encore humides qui luisaient au soleil. Une plate-forme sablonneuse dominait l’immensité et se continuait à perte de vue.

« On dirait une estrade, remarqua Riquet, une estrade qu’on aurait construite pour admirer la mer…

— Et où il n’y aurait jamais personne, ajouta sa compagne. On ne voit passer ici que le garde forestier du Genêt et le douanier au long nez qui habite là-bas dans un repli de la dune, et cependant ce sont les ingénieurs qui ont construit cela avec des troncs de pins enfoncés dans le sable.

— Dans quel but ?

— Pour empêcher l’Océan de manger la terre, donc. ! »

Elle ne laissa pas Riquet s’absorber dans sa contemplation.

« Partons ! dit-elle, il est l’heure !… Nous te reconduirons à Hourtins… Marcheras-tu jusque-là ?

— Oh ! je pense ! balbutia le petit garçon en jetant un regard piteux sur ses beaux souliers vernis.

— Tu es mal chaussé, peut-être, ou trop bien, si tu préfères… Dans la Grande Montagne, quand on ne veut pas souffrir des pieds, il faut avoir des chaussures à forte semelle, bien larges, ou pas de chaussures du tout, comme moi. »

Elle exécuta une gambade pour mieux prouver son dire et ajouta :

« Je ne remets mes sabots que sur la route pour entrer à Hourtins. »

Riquet enviait sa jeune amie ; ses pieds, encore enflés, n’étaient point à leur aise dans leur élégante prison… Aussi ne fut-il pas mé-