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BOURSES DE VOYAGE

englouti dans les profondeurs de l’Atlantique avec les pirates de l’Halifax, les fugitifs de la prison de Queenstown !

Et alors, au nom de ses camarades, la voix profondément émue, Louis Clodion remercia Will Mitz de tout ce que ce vaillant marin avait fait pour eux. En le pressant dans leurs bras, tous pleuraient de joie et de reconnaissance.

Le Victoria était un charbonnier de deux mille cinq cents tonneaux de jauge, qui, après avoir porté un chargement de houille à la Dominique, retournait sur lest précisément à Liverpool. Les passagers de l’Alert seraient donc ramenés directement en Angleterre. Or, comme le Victoria enlevait ses quinze milles à l’heure, le retour de M. Horatio Patterson et des jeunes lauréats ne serait même pas retardé d’une semaine.

Il va sans dire que, dès cette première journée, grâce aux soins dont ils furent l’objet, aucun d’eux ne se ressentait des fatigues morales et physiques, des terribles épreuves par lesquelles ils avaient passé. Cela reculait déjà dans leurs souvenirs. Ils étaient tous à cette satisfaction, à cet immense bonheur d’en avoir fini avec les périls de la seconde traversée et les souffrances qu’ils avaient subies à bord du canot au milieu de l’Atlantique.

Quant à M. Patterson, en achevant une longue et intéressante conversation avec le capitaine du Victoria, dans laquelle s’entremêlèrent la figure de deux monstres, Harry Markel et le serpent de la Martinique, il s’exprima en ces termes :

« Décidément, capitaine, on a toujours raison de prendre des précautions les plus minutieuses avant de se mettre en voyage !… Suave mari magno, il est doux, comme l’a dit Lucrèce, il est doux, lorsque la mer est agitée, de se rappeler qu’on a fait son devoir ! … Que serait-il arrivé si j’eusse disparu dans les profondeurs de l’Océan… si je n’étais pas revenu au port… Si, pendant de longues années, on eût été sans nouvelles de l’économe d’Antilian School ?… Il est vrai, Mrs Patterson aurait pu profiter des suprêmes dispositions que j’avais cru devoir prendre !… Mais, grâce à Dieu, je vais être de retour à temps, et il n’y aura pas lieu d’y donner suite !… Finis coronat opus ! »

Probablement, le capitaine du Victoria ne comprit pas ce que le mentor lui disait ni en latin ni même en sa langue à propos de Mrs Patterson ; mais il n’insista pas et ne put que féliciter son nouveau passager d’avoir triomphé de tant de périls.

On le voit, M. Patterson avait repris toute possession de lui-même, toute liberté d’esprit. Et, alors, lui revint à la mémoire la fameuse citation latine qu’il n’était pas encore parvenu à traduire. D’ailleurs, Tony Renault n’entendait pas lui en faire grâce et, le lendemain, devant ses camarades :

« Eh bien, Monsieur Patterson, et cette traduction ? … demanda-t-il.

— De votre phrase latine ?

— Oui.

Letorum rosam angelum ?…

— Non… non… rectifia Tony Renault, rosam angelum letorum

— Ah ! qu’importe l’ordre de ces mots ?…

— Il importe, au contraire, monsieur Patterson !

— Voici qui est plaisant !

— C’est comme cela !… Et vous n’avez pas trouvé ?…

— J’ai trouvé que cela ne signifiait rien du tout…

— Erreur ! Il est vrai, j’ai oublié de vous prévenir que cette phrase ne peut se traduire qu’en français…

— Me direz-vous enfin ?…

— Oui… quand nous serons en vue de la côte anglaise ! »

Et, les jours suivants, c’est en vain que M. Patterson tourna et retourna ces mots vraiment cabalistiques ! Un latiniste comme lui, pris au dépourvu !