Page:Hetzel - Verne - Magasin d’Éducation et de Récréation, 1903, tomes 17 et 18.djvu/742

Le texte de cette page a été corrigé et est conforme au fac-similé.

Vue ainsi à vol d’oiseau, la terre africaine présentait un aspect séduisant, avec ses forêts séculaires, ses prés majestueux, ses fraîches rizières, son aspect riant et hospitalier. Mais, là encore, l’influence anglaise était souveraine. Il ne pouvait être question de s’y hasarder.

Bientôt, laissant loin derrière lui l’île verdoyante, posée comme un cygne sur les eaux, l’Epiornis se retrouva seul entre le ciel et l’océan.

Enfin, le matin du sixième jour, au soleil levant, la vigie — c’était Gérard, comme toujours — signala au loin l’imposante silhouette du continent noir, terre mystérieuse que les hommes d’occident viennent se disputer entre eux, après l’avoir arrachée à ses bruns enfants.

« Terre !… terre !… cria-t-il. Henri !… Nicole !… Voilà l’Afrique !…

— Oui ! nous touchons au but ! Voilà l’Afrique… répéta Henri en promenant un long regard sur la barre sombre qui fermait l’horizon au sud-ouest.

— L’Afrique !… murmura Nicole les yeux humides. C’est là qu’est ma mère, seule de nous tous… si toutefois elle compte encore au nombre des vivants.

— N’en doutez pas, chère Nicole, dit doucement Henri. Vous la retrouverez…

— Et comme elle sera heureuse en vous voyant lui tomber du ciel sur la tête, si j’ose ainsi m’exprimer !… s’écria Gérard.

— Hélas !… peut-il y avoir aucune joie pour elle désormais ? pauvre mère, pauvre veuve !… pardonnez-moi, chers amis ! J’ai l’air d’oublier par quel miracle de courage et de dévouement vous me ramenez auprès d’elle !… Et, croyez-moi, il n’en est rien ! Je ne suis pas ingrate…

— C’est le dernier reproche que nous songerions à vous adresser, chère Nicole… Nous serons ce soir au Transvaal. Indiquez-nous bien exactement dans quelle région vous comptez rejoindre votre mère, dit Henri. Il faudra nous maintenir à une grande hauteur pendant toute la journée, afin de ne pas attirer l’attention sur nos mouvements, et ne descendre qu’à la nuit, aussi près que possible de la demeure de dame Gudule.

— Vous vous rappelez que mon père fut chassé de territoire en territoire dès le commencement des hostilités et avant même d’avoir pris les armes ? Après qu’il eut été tué avec mes trois frères aînés dans la glorieuse journée de Modderfontein, nous trouvâmes un refuge, ma mère, les enfants survivants et moi, dans une petite ferme abandonnée, à l’ouest de la ville. C’est là que je fus capturée après que tous ceux qui nous restaient eurent péri sous nos yeux, de maladie ou de mort violente… C’est là que je retrouverai ma mère et son dernier-né, s’il est écrit que je doive les revoir en ce monde…

— C’est donc vers Modderfontein que nous allons diriger l’Epiornis. »

Et consultant la carte détaillée du Transvaal qu’il avait toujours gardée dans la poche intérieure de son vêtement, à travers les péripéties de son odyssée, Henri se fit désigner aussi clairement que possible l’emplacement de la ferme.

Sur quoi, ayant réglé la direction à suivre, et le soleil ôtant déjà haut sur l’horizon, l’oiseau géant monta peu à peu à 2 500 mètres. C’est à cette altitude que l’Epiornis fit majestueusement son entrée, nous ne dirons pas en terre, mais en ciel africain.

Durban et le Natal passent au-dessous des voyageurs avec la rapidité de l’éclair ; ceux-ci voient fuir villes, campagnes et villages, réduits à la dimension de jouets d’enfants ; des trains minuscules sillonnent le pays, couronnés d’un grêle panache de fumée ; puis l’aspect du pays change ; la guerre — fléau abhorré des mères — a commencé sa sinistre besogne ; les cultures sont abandonnées ; des ruines à demi calcinées couvrent partout la