Page:Hetzel - Verne - Magasin d’Éducation et de Récréation, 1903, tomes 17 et 18.djvu/732

Le texte de cette page a été corrigé et est conforme au fac-similé.

KSOUR ET OASIS[1]

CHEVAUCHÉES D’UN FUTUR SAINT-CYRIEN À TRAVERS LE SUD-ORANAIS

XI (Suite.)

Nous remontons encore un moment l’oued Gouleïta, puis nous le laissons sur notre gauche. Quelques puits sont, paraît-il, disséminés dans cette vallée. À ce sujet, M. Naimon me conte l’histoire suivante, qui montre bien le peuple partout aussi facilement crédule au fantastique.

« Des maçons, revenant d’El Abiod où ils avaient travaillé à la construction du bordj, s’étaient arrêtés auprès de l’un de ces puits. Dans la nuit un compagnon disparut. Ses camarades, après l’avoir cherché vainement, durent rentrer sans lui, le lendemain. Comme il faisait chaud, peut-être avait-on bu plus que de raison, ou bien le pauvre homme vivait-il en proie réellement à quelque sombre désespoir ? Toujours est-il qu’il s’était jeté dans le puits : un berger retrouva, plusieurs jours après, son corps surnageant.

« Chassant de ce côté, dans la suite, je m’étais installé moi aussi, en cet endroit, et après dîner, paisiblement endormi sur un lit d’alfa, lorsque, vers minuit, je fus réveillé soudain par mon spahi tout tremblant : « Écoute… disait-il, tu n’entends pas le maçon « qui pleure ? » J’eus beau prêter l’oreille : seul le siroco gémissait, de façon lugubre, il est vrai, à travers la plaine.

Aïn-Khorima. — Non pas aux puits d’Aïn-Khorima creusés plus à gauche, contre une vraie forêt de lauriers-roses, mais auprès d’une maisonnette, sur la route, nous attendaient Degmoun et Gourari…

Il était trois heures et demie ; Congo avait le temps de nous faire à dîner…

« Avec quoi, ma lieutenant ?

— C’était vrai : nous n’avions rien !… Allons chasser. »

Peu de temps après deux perdrix, dont une due à mon adresse personnelle, étaient apportées : de quoi faire un pot au feu très délicat. Avec cela des pommes de terre au lard fourniraient le légume ; restait simplement à trouver le rôti. Nous repartons dans l’alfa. À mes pieds déboule un lièvre ; je lui tire mes deux coups, mais avec tant de précipitation qu’il n’en accuse pas la moindre gêne. Heureusement les sloughis l’avaient vu et s’étaient élancés. Ils le poursuivaient avec vigueur, lorsque soudain, à leur nez, il disparaissait dans un trou, sous le rocher. Tout en courant nous approchâmes ; M. Naimon, s’étant jeté à genoux, introduisit le bras allongé dans l’étroite ouverture sans pouvoir atteindre le fugitif.

« Attendez-moi là et surveillez-le ! »

Puis courant vers l’oued, il en revint sans tarder, armé d’un long bâton de laurier, qu’il enfonça dans le terrier :

« Je le sens, il est à nous ! »

Appuyant son bâton dans le fond, il le fit tourner un moment entre ses mains et le ramena brusquement à lui : le malheureux lièvre, pris par les poils et la peau, était littéralement enroulé à l’extrémité.

« C’est ce qu’on appelle faire tire-bouchon », ajouta, en riant, M. Naimon.

Nous le mangeâmes rôti tout entier, à la façon du « messaouar » : pas mauvais ; je vous le recommande. En pensée nous l’arrosâmes d’excellents crus. Le décor y prêtait : la baraque où nous dînions avait été bâtie par les « zéphyrs »[2] qui ouvrirent la route. Un loustic

  1. Voir les nos 180 et suivants.
  2. Nom donné aux soldats des bataillons d’Afrique.