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La voiture roulait toujours dans la vivifiante odeur des résines. Quelques champs de seigle et de pommes de terre annonçaient rapproche d’habitations.

On atteignait en effet Hourtins, un chef-lieu de canton qui est en pénitence entre deux solitudes…

Riquet se redressa pour admirer les magnifiques ormeaux, plusieurs fois séculaires, qui élèvent leur front orgueilleux sur la place de l’Église.

Jean enveloppa ses chevaux de la mèche du fouet pour activer leur allure et attirer les curieux sur le pas des portes…

« C’est un monsieur qui va chasser le sanglier ! » remarquèrent les bonnes gens avant de retourner à leurs occupations.

En dehors des fonctionnaires que leur devoir professionnel appelait à Hourtins, une fois l’an, et des commis voyageurs qui s’égaraient jusque-là, les disciples de Nemrod troublaient seuls, en effet, l’assoupissement du bourg.

La place traversée, la route reprenait en pleine lande. Des flaques d’eau brillaient parmi les joncs : un ruisseau, fleuri de nénuphars, s’en allait paresseusement vers un grand étang couleur d’opale, qu’on apercevait à l’horizon, derrière un rideau de pins…

On arrivait au rendez-vous de chasse : une maisonnette basse de résinier, toute en bois, avec un toit de tuiles rouges, et, déjà, on entendait les aboiements des chiens, la voix et les claquements de fouet des piqueurs… une agitation de foule !…

Riquet, tout palpitant, se mit debout : son ami, M. de Léroudeys, un petit vieillard maigre et nerveux, dont les soixante-dix ans conservaient une incroyable activité, s’écria en ouvrant la portière :

« Mes félicitations, mon cher, vous initiez de bonne heure le gamin à la grande chasse ; mais ne craignez-vous pas de le perdre en route ?

— Il vient nous voir partir, expliqua M. de Hanteillan, et, tout de suite après, Jean le ramènera à la maison. Je vous demanderai ce soir une place dans votre voiture pour le retour.

— Pauvre moutard ! fit M. de Léroudeys en pinçant l’oreille de Riquet ; quel dommage de le laisser, mais il est certain que le gibier que nous chassons est trop dangereux pour emmener des enfants…

— Oh ! fit le petit en se redressant ; je suis brave !…

— Nous ne discutons pas ta vaillance, jeune coq !… pourtant quelle conduite tiendrais-tu si, tout à coup, tu te trouvais en présence du sanglier, le poil hérissé, l’œil sanglant, les défenses menaçantes ?

— Je me cacherais derrière papa, et papa le tuerait d’un coup de fusil !…

— Et comme le pauvre papa serait inquiet pour son petit garçon, sa main tremblerait et il manquerait son coup, ce qui ne lui arrive jamais !… À la nursery, Riquet, à la nursery, voilà ta vraie place pour le quart d’heure !… Tu nous suivras lorsque tu auras de la barbe au menton ! »

La désinvolture moqueuse du vieux chasseur amena le rouge aux joues de Riquet… M. de Léroudeys l’abandonnait ! Sur qui compter à présent ?…

M. de Hanteillan entraîna son fils du côté de la meute : des fox-hounds, blanc et feu, la tête longue, les oreilles plates, que des piqueurs tenaient couplés dans une enceinte grillagée. Puis on déjeuna gaîment à l’ombre des pins et les domestiques amenèrent les chevaux : les chasseurs sautèrent en selle… Le premier piqueur vint faire son rapport ; en compagnie du limier, il avait relevé les traces d’un magnifique sanglier qui baugeait à une lieue de là…

« En route ! » cria le maître d’équipage.

Du bout des doigts, M. de Hanteillan envoya un baiser à son petit garçon et le vautrait