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Pendant six jours, M. de Hanteillan tint bon ; le septième enfin, de guerre lasse, il proposa un compromis.

L’enfant viendrait au rendez-vous de chasse ; il verrait les chiens, les piqueurs, il déjeunerait, assisterait au départ et reprendrait ensuite le chemin du logis, en compagnie de Jean, le vieux cocher, un ancien soldat qui ne connaissait que sa consigne.

Cet arrangement ne satisfaisait qu’à demi maître Riquet, qui rêvait de sauter en croupe derrière son père et de galoper comme lui sur les traces d’un farouche solitaire ; mais il jugea prudent de ne point laisser deviner sa déconvenue et se fia aux événements pour changer la tournure des choses.

Qui sait ? Le vieux M. de Léroudeys, toujours si pressé de conter ses prouesses d’autrefois, dirait peut-être :

« J’avais l’âge de ce gamin quand mon père m’emmena courre le cerf en forêt de Compiègne… On ne saurait trop tôt initier les jeunes au noble art de la vénerie !… »

Et M. de Hanteillan, vaincu, céderait enfin aux désirs de son fils !

Le papa de Riquet habitait Bordeaux, mais il possédait en Médoc — cette pointe de terre qui s’avance entre la Gironde et l’Océan — un château où il venait, tous les ans, passer quelques mois.

Un parc enveloppait la confortable habitation, de style Empire ; il ne fallait pas, l’été, en franchir les grilles si l’on craignait le soleil ; tout de suite après commençait une mer de vignes qui produisaient un vin renommé… De ce côté-là, le gibier manquait absolument ; les « fusils » de la contrée se dédommageaient dans la région inculte qui borde la côte.

Pour sa part, M.de Hanteillan jouissait d’un droit de chasse sur une bande de forêt large d’une lieue, qui rejoignait l’étang de Lacanau, à quarante kilomètres de là. Tous les huit jours, il se réunissait à quelques amis intrépides pour forcer un sanglier, chevauchée folle où l’on se perdait, où l’on éreintait sa monture, où l’on risquait vingt fois sa vie ! Et Riquet nourrissait la prétention de suivre cette dangereuse galopade !… Tout autre que son père lui aurait ri au nez, dès la première ouverture, et, s’il avait insisté, l’aurait privé de dessert pour lui apprendre à ne pas demander la lune !

Mais M. de Hanteillan ne savait rien refuser à son fils ; l’enfant était né à l’heure où sa pauvre maman remontait au ciel. Pendant trois ans, on craignit même de ne pouvoir l’élever !… Il avait été gâté, choyé, comme les princes ne le sont pas !…

Rien n’était trop beau ni trop élégant pour lui… Costumes d’été en flanelle blanche, costumes d’hiver en velours noir, cols brodés, souliers vernis… Suivant l’expression de Rosalie, la vieille bonne, son petit maître ressemblait à un portrait, et, pas plus qu’un portrait, on ne le voyait ni jouer, ni courir… Il s’échaufferait… il prendrait froid… ou bien il gagnerait une courbature !…

Et puis, la société des autres enfants ne lui valait rien !… on le contrariait… cela l’énervait ! … Ne fallait-il pas ménager ce petit système nerveux trop irritable ?…

Le travail, aussi bien que le jeu, était sévèrement mesuré. Le précepteur avait des instructions formelles !… Au premier symptôme de mal de tête, les livres devaient être fermés et, pour le moindre rhume, la grasse matinée paraissait indispensable.

À table, on ne savait que donner au petit capricieux qui manquait souvent d’appétit… Les morceaux les plus délicats lui étaient offerts dans l’espoir qu’il y goûterait d’une dent moins dédaigneuse.

Grâce à ce régime, Riquet s’étiola comme une petite fleur des champs qu’on mettrait en serre chaude, et il devint paresseux, douillet et égoïste ; mais qui s’en doutait autour de lui ?…