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J. DE COULOMB

douce que pour quarante-huit heures, à moins que la pluie ne vînt à tomber.

Et, précisément, la sérénité du ciel enlevait tout espoir à cet égard. Ce vent, qui avait halé le nord, n’amenait pas un seul nuage. Le canot avait dû dériver vers le sud, et ce n’était pas en cette direction que se rencontrerait la côte américaine, mais bien le vaste Océan ouvert jusqu’aux limites de la mer Antarctique !

D’ailleurs, dans la nuit du 3 au 4 octobre, la brise tomba peu à peu, et, au lever de l’aube, la voile battait sur le mât.

Quel regard désespéré les plus énergiques jetèrent sur cette immensité !

Will Mitz, lui-même, croisant les mains, ne put qu’adresser ce dernier appel à la Providence :

« Mon Dieu… mon Dieu !… prenez-nous en pitié ! »

Une journée encore se passa sans changement, et, sous cette chaleur torride, il fallait sans cesse se relayer aux avirons. Ils n’étaient plus que quatre qui pussent encore le faire, Louis Clodion, Tony Renault, John Howard, Magnus Anders. Leurs camarades, brisés par la fatigue, minés par la fièvre, gisaient au fond de l’embarcation, et l’eau potable allait leur manquer…

Will Mitz, cependant, conservait assez d’énergie pour encourager ses jeunes compagnons.

Il ne quittait la barre que pour prendre l’aviron à son tour. En vain espérait-il que le vent reviendrait ! Les rares nuages de l’horizon se dissipaient presque aussitôt. La voile ne battait plus, et, si on la laissait sur le mât, c’est qu’elle formait abri contre les brûlants rayons du soleil.

Cette situation ne pouvait se prolonger.

Pendant la nuit du 1er  au 2 octobre, plusieurs de ces pauvres enfants eurent le délire. Ils criaient… Ils appelaient leur mère… Sans l’incessante surveillance de Will Mitz, ils se fussent jetés à la mer sous l’empire d’effroyables hallucinations…

Enfin le jour parut, et, pour quelques-uns, ne serait-ce pas celui qui terminerait leurs souffrances ?…

Soudain un cri se fit entendre, — un cri qui s’échappait des lèvres de Louis Clodion :

« Navire ! »

Jules Verne.

(La suite prochainement.)

LA PREMIÈRE CHASSE DE RIQUET
I

La route se déroulait, toute blanche et très droite, entre les bois : chênes robustes aux épaisses ramures, pins noirs au tronc rouge qui portaient au liane la blessure du résinier, acacias légers où la brise du matin mettait des frissons de plume, et le soleil de juin, des transparences vertes d’eau dormante.

Des fougeraies et des bruyères alternaient avec les futaies claires ou sombres… Une saine odeur aromatique embaumait l’air… Aucun village… pas même une maisonnette isolée de loin en loin !… La solitude absolue !…

Les dix ans de Riquet n’admiraient pas encore la sauvagerie de ce paysage ; pour l’instant, le petit homme, à demi couché au fond du landau, près de son père, ne songeait qu’à jouir de son triomphe.

Depuis une semaine, il remplissait la maison de ses gémissements :

« Je voudrais aller à la chasse au sanglier… On refuse de m’y conduire !… Je suis bien malheureux !… »