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BOURSES DE VOYAGE

vît un arc diurne moins allongé, ses rayons obliques étaient d’une extrême ardeur. Aussi convenait-il de ménager l’eau douce, puisque seule la pluie permettrait de renouveler la provision à demi épuisée déjà. Il fallut se rationner, et chacun s’y soumit sans se plaindre.

Ce jour-là, vers trois heures de l’après-midi, une fumée s’allongea vers le nord-est, et on eut l’espoir de rencontrer un navire. Cet espoir fut de courte durée. La silhouette d’un grand steamer apparut, mais à dix milles du canot. Il était impossible d’attirer son attention, et Will Mitz eut bientôt constaté qu’il ne croisait pas sa route.

En effet, une heure après, ce steamer avait dépassé l’embarcation, et on ne vit bientôt plus que les dernières volutes de sa fumée rabattues par la brise.

Avant le dîner, Tony Renault, Hubert Perkins et Albertus Leuwen prirent encore quelques poissons, qui furent accommodés comme la veille. D’ailleurs, il fallut aussi songer à économiser le charbon du fourneau.

Le lendemain, la navigation se poursuivit à peu près dans les mêmes conditions. Seulement, le vent ayant un peu halé le nord, on dut raidir les écoutes et marcher à l’allure du largue.

Ce n’est pas que la vitesse fût diminuée, mais le canot donnait parfois la bande, au point que son plat-bord rasait la surface de l’eau.

Will Mitz le soutenait avec la barre, rendant la main lorsqu’il menaçait de remplir, tandis que Tony Renault filait l’écoute de la voile.

Ce qui inquiétait Will Mitz, c’était que les appréhensions qu’il cherchait vainement à cacher commençaient à troubler ses jeunes compagnons.

Et, tout d’abord, M. Patterson, doué d’une moins grande endurance, parut ne pas devoir résister comme il l’avait fait jusqu’alors. Ce n’était pas qu’il fût abattu par le mal de mer, non ! Des accès de fièvre l’accablaient, accompagnés d’une soif brûlante. Et, pour l’apaiser, chacun lui eût volontiers abandonné sa part d’eau douce, bien réduite déjà. S’il s’affaiblissait encore, si le délire le prenait, — et parfois s’échappaient de sa bouche des paroles incohérentes, — que faire pour lui ?…

En outre, Axel Wickborn et Hubert Perkins furent en proie à de telles faiblesses qu’ils ne pouvaient demeurer sur les bancs. Leur figure pâlie, leurs yeux caves, leur regard incertain indiquaient qu’ils étaient à bout de forces, et il fallut les étendre près de M. Patterson

La nuit du 29 au 30 septembre accrut encore les anxiétés de Will Mitz. Roger Hinsdale, Tony Renault, Magnus Anders, qui avaient montré jusqu’ici le plus d’énergie, les durent partager. Et, pour comble de malchance, le vent, jusqu’alors favorable à la marche du canot, marqua une tendance à mollir.

Voilà ce qu’il y avait de plus à redouter, ces calmes dont on ne prévoit pas la fin. Avec de nouveaux retards, les provisions qui diminuaient chaque jour, et l’eau douce qui serait bientôt réduite à quelques pintes, finiraient par manquer…

C’était le 26 au soir que l’embarcation avait abandonné l’Alert. Depuis quatre jours le canot errait à l’aventure sur cette mer toujours déserte. Et lorsque Louis Clodion demanda combien de milles il avait pu faire en direction de l’ouest :

« Cent cinquante, peut-être… répondit Will Mitz.

— Cent cinquante s’écria John Howard, et nous n’a percevons pas encore la terre…

— Est-ce qu’il n’y a plus de terre de ce côté ?… » murmura Niels Harboe.

Will Mitz ne sut que répondre. La terre était là, mais à quelle distance, impossible même de l’estimer !

En réalité, s’il y avait des vivres pour quelques jours encore, il ne restait d’eau