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JULES VERNE

l’Alert, s’occupa du déjeuner, thé qu’il fit chauffer sur le fourneau portatif, biscuit que l’on tira de l’une des caisses, puis quelques gouttes de brandy mêlées à l’eau douce.

Roger Hinsdale, s’adressant à Will Mitz, lui dit :

« Il faut dormir à votre tour… il le faut, si vous devez passer la nuit prochaine à la barre…

— Il le faut », ajouta Louis Clodion.

Will Mitz interrogea l’horizon du regard et, voyant la mer si calme, la brise si régulière :

« Je vais dormir deux heures », répondit-il.

Après avoir remis la barre à Magnus Anders et lui avoir donné quelques instructions, il alla s’étendre sous le taud.

Deux heures plus tard, ainsi qu’il l’avait dit, il reparut et vint à l’arrière. Dès qu’il se fut assuré que l’embarcation était en bonne route, il observa le ciel et la mer.

Les conditions atmosphériques n’avaient point changé. Le soleil montait vers la méridienne sur un ciel pur. La température aurait été insoutenable avec la réverbération des eaux si les fraîcheurs de la brise ne l’eussent adoucie.

Toutefois, si loin que la vue put s’étendre, on n’apercevait ni la silhouette blanche d’une voile, ni le panache noir d’une fumée. Les lorgnettes se promenèrent vainement sur tout l’immense périmètre.

D’ordinaire, à cette époque de l’année, les navires anglais, français, américains, allemands, fréquentent ces parages, limités au nord par l’archipel des Bermudes, à l’ouest par l’archipel des Indes Occidentales. Il est rare qu’une journée s’écoule sans que des bâtiments s’y croisent.

Aussi, Will Mitz se demandait-il si la tempête n’avait pas entraîné l’Alert plus au large qu’il ne le supposait, à une distance telle qu’elle ne pourrait être franchie en moins de deux ou trois semaines !… Et, bien avant même, les provisions seraient épuisées !… Il n’y aurait plus à compter que sur la pêche pour se procurer un peu de nourriture, et sur la pluie pour apaiser les tortures de la soif !…

Ces alarmantes réflexions, Will Mitz les gardait pour lui, affectant une confiance qu’il commençait à perdre.

La matinée s’acheva dans ces conditions que rien ne vint modifier. Une sorte de bonnette, maintenue par un tangoh, ayant été hissée, la vitesse du canot s’accrut sous l’allure du vent arrière.

Le second déjeuner, moins sommaire que le premier, se composa de biscuit, de viande sèche, de légumes conservés qu’il suffisait de faire réchauffer, et de thé pour boisson. M. Patterson, s’habituant à cette situation, mangea avec quelque appétit. Ses jeunes compagnons, eux, dévorèrent à belles dents, et le cœur de Will Mitz se serrait en songeant aux terribles éventualités de l’avenir, si la navigation se prolongeait…

L’après-midi, les lignes, mises à la traîne, rapportèrent divers poissons qui, bouillis dans l’eau de mer, augmentèrent le menu du dîner.

Puis, la nuit vint. Aucune voile n’avait été aperçue avant le coucher du soleil. Obligeant Louis Clodion et ses camarades à dormir comme la veille, Will Mitz resta au gouvernail jusqu’au jour.

Le lendemain, 28 septembre, le vent, qui avait légèrement molli entre le coucher et le lever du soleil, fraîchit à mesure que l’astre du jour montait vers le zénith. Dans la matinée, il fut nécessaire d’amener la bonnette. Avec la vitesse qui l’animait, le canot embarquait un peu d’eau par l’avant, et il devenait difficile d’éviter les embardées. Will Mitz, prévoyant le cas où il serait nécessaire de diminuer la voile, ne fit pas ses deux heures de sommeil.

Le vent paraissait d’autant mieux établi que le ciel, d’un bleu intense, était sans nuages. Bien que le soleil, depuis l’équinoxe, décri-