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JACQUES LERMONT

le savons pas, et lui-même l’ignorait quand il s’éveilla. Ce qu’il y a de certain, c’est qu’à son réveil, dans l’ombre noire de la grotte, il eut quelque peine, d’abord, à se rappeler où il était. Se souvenant, il chercha à tâtons sa chandelle, prit le briquet dans sa poche et fit de la lumière. Il constata, en se préparant à remonter, qu’il avait coulé de l’eau par le couloir. Il ne se préoccupa point de ce détail, pressé qu’il était de rentrer à la maison.

Il ne savait pas l’heure, et le brave petit garçon pensait avec angoisse qu’on était peut-être inquiet de lui au manoir. Son chagrin s’était apaisé dans le sommeil, et aussi sa petite rancune contre son papa, qu’il aimait bien. Il ne songeait plus qu’à revenir au plus vite et à revoir ce terrible papa, si bon, et grand-père, et la grande Manon. Yves s’engagea dans le tunnel et s’éleva en posant son pied sur la première marche. Et, comme il l’avait déjà fait plusieurs fois pour sortir, il éteignit la chandelle, la mit dans sa poche et saisit à deux mains la seconde pierre formant marche, qui était assez élevée au-dessus de la première, afin de grimper vers l’orifice. Il se produisit alors un accident dont il ne mesura pas tout de suite la gravité. Probablement, l’orage exceptionnel de la nuit avait détrempé et descellé les deux fragments de roche servant de marches : elles cédèrent en même temps toutes deux sous son poids, et l’enfant dégringola dans l’intérieur de la grotte !

Yves se releva. Il n’avait aucun mal. Les deux pierres et lui ne s’étaient pas rencontrés dans la chute. Yvon ne s’émut pas outre mesure. Il avait l’habitude de courir les rochers, de se tenir aux moindres aspérités. Il ne s’imaginait pas qu’il dût trouver grande difficulté à se hisser jusqu’à l’ouverture. Pourtant, quand il eut battu le briquet de nouveau, et éclairé le couloir au-dessus de sa tête, il commença à concevoir des inquiétudes : les deux pierres, ayant quitté leur alvéole, avaient entraîné avec elles le terrain, ne laissant à la paroi de roches, lisse, que des cavités très peu profondes, où il ne fallait pas songer avoir prise avec les doigts. Elles n’offraient point de saillies. Tout le reste du puits était lisse, sans aspérités. On ne pouvait rien tenter par là d’aucune façon. Yves essaya de se cramponner à l’ancienne place des pierres. Il raidit ses doigts de toute sa force, sans réussir à trouver un point d’appui suffisant. Il renouvela sa tentative plusieurs fois, avec énergie, puis avec désespoir : il n’arriverait à rien…

Yves était enterré vivant !

Il se rendit compte sur-le-champ de cette situation affreuse et du sort qui l’attendait. Il était perdu.

Personne au monde ne connaissait cette cavité invisible du dehors. On allait le chercher, sans doute, partout ; mais nul n’aurait l’idée de venir le chercher là. Il ne servait de rien de crier, car, assurément, sa voix ne s’entendrait pas du dehors, du sentier, au-dessus, même s’il y passait quelqu’un par hasard. Et il y passait si rarement quelqu’un ! … Yves n’avait aucun outil pour pratiquer une excavation dans le couloir du puits, si ce n’est son couteau, et il savait par expérience combien il est impossible d’entamer la roche avec un couteau. C’est tout au plus si on arrive à la rayer. Il mourrait de faim et de soif, lentement. Ni son père, ni grande Manon, ni grand-père n’auraient plus de nouvelles de lui, jamais. C’était fini. Et mourir ainsi, tout seul, petit à petit, comme une bête dans un trou ! Il eut le remords de ses embuscades contre les crabes et les oiseaux, de toutes les créatures innocentes qu’il avait privées de la joie de vivre.

C’en était fini des courses à l’air libre de la mer ! Et des journées de chasse où il suivait son père ! Et des retours joyeux ! Et des baisers de Manon ! Et de tout !

Le courageux garçon fondit en larmes. Mais cette crise de faiblesse fut de courte durée. Il essuya ses yeux avec son poing,