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MICHEL ANTAR

empreinte s’y voit encore aujourd’hui, de même que, à la place où il avait disparu, la terre ne s’est jamais complètement refermée. Enfin, un peu plus bas, également, se distingue encore fort nettement la trace des genoux du marabout, alors que, sauvé de tout danger, il s’était prosterné pour rendre grâce à Dieu.

Jamais, depuis lors, le pieux « cheikhi » ne dépasserait un de ces trois points sans se recueillir un moment et sans apporter au « redjem[1] » élevé auprès de chacun d’eux, une pierre en témoignage de sa vénération.

Voilà ce que j’appris de M. Naimon, tandis que, escortés de Slimane, nous suivions un des nombreux affluents de l’oued Gouleïta pour aller reprendre aux Arbaouat la route de Géryville. Et comme je manifestais un regret de ne pouvoir retourner du côté d’El Abiod, jusqu’à ces traces de prodiges lointains :

« Je les ai vues, moi, me répondit-il ; je puis donc vous assurer que vous n’y perdez rien. Des trous quelconques dans le rocher ; quelque chose comme les « Pas de Roland » dans les Pyrénées ; tout auprès, des amas de pierres, dans lesquels sont fichés des bâtons noués de sales chiffons. La légende, qui seule a du charme, ne peut qu’être gâtée par la réalité. Les Arbaouat[2]. — Deux villages sur les bords de l’oued Gouleïta.

El Tahtani, Arba-le-Bas, le plus important, est défendu par un mur d’enceinte très élevé, avec meurtrières, mâchicoulis au-dessus de la porte, et bastions d’angle. Ses jardins, qui s’étendent le long de la rivière, produisent abondamment raisins, grenades, abricots, pêches et figues, tous fruits très appréciés à Géryville, dont ils forment le dessert habituel à la fin de l’été ; quelques centaines de palmiers donnent des dattes qui ne mûrissent jamais.

El Foukani, — Arba-le-Haut, — s’étage en amont, tout à fait misérable.

L’origine des Arbaouat remonte au quinzième siècle, comme je l’ai dit ailleurs, à l’époque où les Bou Bekria, ancêtres des oulad Sidi Cheikh actuels, s’établirent dans le pays.

Si Maamar ben el Alia, chef de la famille, fit élever quelques gourbis pour ceux de ses serviteurs préposés à la garde des grains. Mais la discorde se mit plus tard entre ces habitants du premier ksar. Ni plus ni moins que leurs maîtres, ils se séparèrent en deux fractions ennemies. D’où une série de luttes intestines dont profita un troisième larron : les tribus marocaines qui formaient ce qu’on appelait le « Zegdou, — confédération qui existe encore aujourd’hui et qui nous cause des ennuis actuellement, du côté de Figuig, — pillèrent et détruisirent leur village[3].

Le malheur, au lieu de les rapprocher, les sépara définitivement. Ils se construisirent deux villages rivaux qui, dans la suite, faillirent avoir le même sort que le ksar primitif.

Le bey d’Oran, Mohammed el Kebir, — celui qui échoua devant Taouïala, — vint, avec ses Turcs, camper entre les deux Arba, et en entreprit le siège. Mais le jour où il décida l’assaut, des nuées noires s’échappèrent en tourbillonnant de la koubba où était enterré Si Maamar, et, fondant avec un fracas horrible sur le camp ennemi, saccagèrent tout, projetant sur le sol les soldats turcs et leur chef.

Mohammed el Kebir, devant cette intervention posthume du fondateur des Arbaouat, jugea prudent de ne pas insister ; il s’enfuit prestement avec son armée.

La koubba de Si Maamar avait été construite par les soins de Si ben ed Dine, fils et succes-

  1. Redjem, tas de pierres commémoratif. — Cheikhi, affilié à l’ordre religieux fondé par Sidi Cheikh.
  2. Arbaouat, pluriel régulier de Arba.
  3. Ce sont ces tribus marocaines (Douï-Menia, Beni Guill, etc.) et les Beraber qui viennent d’attaquer (2 septembre) un de nos convois de ravitaillement pour l’extrême Sud, à El-Moungar. Le combat dura toute une journée. Nous y avons perdu deux officiers et trente-cinq hommes. Il y a eu en outre quarante-sept blessés.