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s’envole pas sans nous prévenir, et tu pourras procéder en paix à tes petits arrangements.

— C’est cela. Ne perdons pas de temps », répliqua Henri.

Il fut relativement facile de fixer l’ancre aux branches supérieures de l’arbre, et bientôt l’appareil solidement attaché présenta toute la stabilité nécessaire.

« Pendant que tu travailles, dit alors Gérard, je ferai peut-être sagement, si tu n’as pas besoin de moi, d’aller à la découverte. Il doit y avoir de l’eau douce dans cette île, et nous pourrons remplir notre baril ; faute de quoi, la suite du voyage risque de manquer d’agrément…

— Oh, Sahib ! Tu m’emmèneras ? implora Djaldi en joignant les mains.

— Non, dit Gérard avec décision. D’abord je craindrais que le trajet ne fût trop difficile pour tes petites jambes ; il est fort possible que moi-même je trouve le fourré impénétrable. Mais, surtout, il faut que tu restes ici pour m’indiquer l’emplacement de notre arbre ; sans quoi comment le reconnaîtrais-je en revenant ? Tu seras donc chargé de cette sonnette que tu agiteras comme signal toutes les cinq minutes. Tu vois que je te donne un rôle très utile, ajouta Gérard avec bonté.

— Et surtout pas de sottise ! Pas de nouvelle désobéissance, fit sévèrement Henri. Je vais à mon travail. Toi, demeure où Gérard Sahib t’aura posté et exécute de point en point ses ordres !…

— Entendre c’est obéir ! » fit Djaldi saisissant sa sonnette.

Cette sonnette, débris du mobilier du Silure, était restée mêlée à leur bagage, et Gérard, la rencontrant sous sa main, lui avait promptement découvert une utilité.

« Voyons s’il y a moyen de descendre, continua le jeune homme, après avoir dûment installé le petit gardien, en se laissant glisser à la force du poignet du haut de la branche sur laquelle il était assis à califourchon pendant le colloque précédent. Ouf !… Ce n’est pas commode !… Ces branches sont entrelacées comme des serpents… Enfin, tant pis !… Il faut risquer une égratignure ou deux… Aïe ! ma tête !… allons… hop ! hardi… nous y voilà !… »

Déchirant feuillages et menues branches à sa portée, poussant, s’escrimant des pieds et des poings, il réussit à se frayer un chemin à travers les frondaisons touffues, entremêlées aux lianes grimpantes qui formaient autour du tronc de l’arbre comme un impénétrable rideau de plus de cent mètres de hauteur, et sentit sous ses pieds un tapis de mousse épaisse et veloutée.

De tous côtés s’élevaient des arbres gigantesques dont les racines se tordaient sur le sol comme des serpents monstrueux ; une ombre épaisse, un silence lourd régnaient, dans cette antique forêt. Soit qu’il n’y eût pas d’oiseau sur l’île, soit que la saison de chanter fût passée pour eux, aucun cri, aucun gazouillement n’égayait cette solitude. Une odeur résineuse, une forte senteur aromatique rendaient l’atmosphère oppressive. Se protégeant de son mieux contre les épines, les feuilles coupantes, les longs dards menaçants qui lui défendaient le passage, Gérard s’élança résolument à travers le fourré, persuadé qu’au milieu de tant de verdure devait couler au moins une source d’eau vive, et décidé à la découvrir.

Il s’était d’ailleurs soigneusement orienté, ayant toujours sur lui sa boussole de poche, et, tandis qu’il avançait péniblement, le tintement de la clochette, venant frapper son oreille à intervalles réguliers, lui donnait l’assurance de pouvoir sans trop de mal regagner le gîte, une fois son excursion terminée.

Il y avait une heure à peu près qu’il luttait et peinait ainsi sans que le plus petit filet d’eau, la moindre trace d’humidité se fussent