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leurs entretiens ; elle éprouvait pour Mme Pole un sentiment amer, presque haineux.

Ainsi s’écoulaient les heureux congés. Chaque matin, Jock s’éveillait avec la certitude qu’un jour de plaisir se levait, et, pour lui, Gray-Tors était le meilleur coin de la terre.

Depuis quelque temps déjà on n’avait parlé de Beggarmoor, lorsqu’un jour, au dîner, M. Grimshaw annonça l’arrivée du savant qui devait examiner la lande. Jock était invité à faire le voyage, s’il en avait le désir.

L’enfant fut enchanté de cette proposition : la blanche chaumière isolée, au milieu des collines, avait gagné son cœur ! Il s’était persuadé qu’un trésor était enfoui dans quelque partie de ce terrain stérile. Après le dîner il resta aux alentours de la maison, attendant avec impatience le moment du départ. Lorsque la voiture eut ramené de la gare l’hôte attendu, il le laissa pendant quelque temps en conversation avec son oncle, puis, bravement, il ouvrit la porte de la bibliothèque, où se tenait le conciliabule.

À son entrée, M. Grimshaw et son hôte levèrent vivement la tête. Avec la plus grande satisfaction, Jock constata qu’ils examinaient ensemble un petit pont en bois, fruit de son travail, et que le matin même il avait offert à son oncle.

« Voici notre ingénieur, n’est-ce pas ? » dit l’étranger.

C’était un jeune homme au visage agréable qu’éclairait un franc sourire. Jock se sentit attiré vers lui.

« Je voudrais être ingénieur un jour, balbutia-t-il timidement.

— Je n’en doute pas, mon enfant. Si vous avez pu faire ceci tout seul, on parlera de vous un jour, répliqua l’étranger. Monsieur, ajouta-t-il en se tournant vers l’oncle, beaucoup d’enfants feraient un travail correct en apparence ; mais ici on aperçoit des proportions exactes et une précision mathématique : c’est surprenant pour un début. »

Jock était ravi de cet éloge. Jamais encore il n’avait reçu d’encouragement d’un juge compétent. Pendant la course vers Beggarmoor, l’étranger et lui ne s’entretinrent que de mécanique, tandis que M. Grimshaw écoutait leur conversation animée.

Aussitôt qu’ils furent descendus de voiture, le vieux monsieur s’entretint à voix basse avec l’ingénieur, pendant que l’enfant marchait à quelques pas.

Comme ils approchaient du champ où travaillaient les ouvriers, Bagshaw sortit en courant de sa chaumière pour aller les rejoindre. Jock se plaça en observation sur le mur.

Il vit alors son oncle emmener le fermier dans une direction opposée pour laisser à son ami la liberté d’examiner le puits et de questionner les travailleurs. Leurs réponses étaient sans doute intéressantes, car l’ingénieur semblait observer minutieusement le sol, en même temps qu’il prenait des notes sur une feuille de papier.

Le petit garçon commença bientôt à s’ennuyer. Se laissant glisser en bas du mur, il s’achemina vers le sentier par lequel ils étaient venus.

Molly l’avait souvent supplié de l’emmener voir le lieu dont il faisait une si brillante description. Pendant qu’il marchait ainsi, il lui vint une idée. En suivant la route, la promenade était trop longue pour la petite fille, mais, un prenant un chemin de traverse dans la lande, la distance serait diminuée de moitié.

Quand Jock atteignit l’endroit où la route bifurque en faisant un grand détour vers la ville, il vit que le chemin par la lande ne leur laissait aucun espoir de s’en tirer ; il n’y avait d’abord nulle trace de sentier ; de la route, on n’accédait à cette lande que par un haut talus presque à pic ; du côté de la ville, le chemin était obstrué par d’énormes rochers gris d’un abord impraticable ; autour, pas le moindre passage : partout un sol marécageux et perfide.