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« Tu peux bien les appeler tels ; ils sont sans cesse occupés à arracher au mauvais génie, qui voudrait maintenir les hommes dans l’ignorance, ses secrets les plus jalousement gardés.

— Ah ! mais alors pourquoi ne font-ils pas paraître d’un coup de baguette ces matériaux qui leur manquent ? demanda Djaldi, après un instant de méditation ardue.

— Les magiciens n’ont pas la propriété de faire quelque chose avec rien. Tu as entendu parler de la fée transformant une citrouille en voiture (ou en palanquin) ; ce conte n’est pas en effet seulement propriété de tous les pays ; il vient sans nul doute de cette Inde qui est ton berceau ; eh bien, ne vois-tu pas que même cette puissante personne avait besoin comme nous des éléments premiers pour construire son carrosse ?

— C’est vrai ! » fit Djaldi convaincu.

Cependant la construction de l’épervier marchait bon train, et aussitôt que Gérard l’eut complété à sa satisfaction avec l’aide de Le Guen, les trois compagnons partirent pour le bord de la mer un matin de bonne heure, le jeune Massey portant l’épervier sur son épaule, Le Guen chargé de tout ce qu’il avait pu ramasser comme débris dédaignés des rôtis de pingouins, et Djaldi pourvu de paniers destinés à recevoir le produit de la pêche.

Le bassin naturel dans lequel les eaux vives de la fontaine se rassemblaient avant d’aller se perdre dans la mer, mesurant à peu près cinquante mètres carrés et de forme sensiblement circulaire, était formé par deux bras de roc qui en faisaient une sorte de petit havre tranquille.

« Poste-toi sur ce promontoire, dit Gérard, et jette de minute en minute un de ces débris de viande dans notre direction. Le Guen et moi, nous allons nous percher sur l’autre et attendre… Fais le moins possible de bruit ou de mouvement. »

Pendant un assez long intervalle, ils demeurent immobiles et attentifs, le petit Hindou observant le plus religieux silence, et jetant de temps à autre son appât dans le bassin. Dix minutes, un quart d’heure, vingt minutes s’écoulèrent, et rien n’en était venu troubler les profondeurs tranquilles ; Djaldi commençait à espacer instinctivement ses offrandes, craignant de les avoir dépensées en vain. Mais Gérard et Le Guen, qui avaient patiemment épié du gibier de tout poil et de toute plume, capté du poisson de toute écaille dans les solitudes africaines, savaient bien que la gent à nageoires est la plus soupçonneuse, mais aussi la plus vorace qui soit, et ils attendaient en toute confiance la fin du débat qu’ils pressentaient au fond de l’eau : le triomphe de la gloutonnerie sur la prudence.

La catastrophe s’annonça. Les morceaux de viande, systématiquement taillés larges et plats, surnagent tous ; pas un n’a pu être saisi par les habitants du bassin qui, tapis derrière quelque coin de roche, observent sans doute d’un œil avide cette aubaine inattendue. Bientôt l’un d’eux n’y tient plus : un frétillement à la surface de l’eau, un gros œil vitreux fixé sur un morceau particulièrement alléchant, un coup de gueule manqué pour le happer, puis un plongeon effarouché marquent la première escarmouche ; au bout de vingt secondes, retour agressif, coup de mâchoire plus heureux, le morceau est expédié avec prestesse ; enhardis par l’exemple, d’autres convives se montrent, ne demandant qu’à partager le régal, maintenant que l’impunité paraît assurée. Mais l’éclaireur ne l’entend pas ainsi. Il est le plus fort, évidemment, comme le plus hardi et le plus avide de la bande et, à grands coups de queue, il essaye de disperser ses frères plus timides : il en mange même quelques-uns dans la chaleur de l’action. C’est le moment de jeter l’épervier.

D’un geste prompt, sans hâte, Gérard le déploie, le jette sur la surface de l’eau ; toute