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chère Martine pour les raccommoder ?… Non seulement un soldat devrait emporter en campagne une petite trousse à ouvrage dans le genre de celle-ci, mais il devrait être prêt à s’en servir avec adresse et promptitude. Laisse-moi te donner une leçon de couture ; toi qui fais si joliment le filet, tu manieras l’aiguille, j’en suis sûre, sans aucune difficulté.

— Pourquoi pas la quenouille ? protestait Gérard. Le filet passe encore ! C’est un travail tout masculin. Mais l’idée de me mettre à coudre ne me dit rien qui vaille.

— Pur préjugé ! rétorquait Lina. Est-ce que Hoche ne brodait pas obscurément des gilets à Versailles, avant que la gloire brillât pour lui ? Prétends-tu pour cela le qualifier d’efféminé ?

— Mon objection est idiote. Montrez-moi vite toutes deux les mystères de l’ourlet, de la piqûre, du surget… »

Et tous les trois de rire, et la leçon de couture de progresser joyeusement. Aujourd’hui, le pauvre Gérard a peine à contenir son émotion, ses regrets, au souvenir de ces heures paisibles et heureuses, prélude de si affreux désastres ; mais, tandis qu’il déballe le paquet de mercerie délaissé au fond d’une caisse, il éprouve la grande surprise — et la joie plus grande encore d’y trouver presque tout ce qui est nécessaire pour la construction de son épervier : un gros rouleau de ficelle solide et une navette à faire le filet semblent avoir été placés là tout exprès pour satisfaire à la nécessité présente.

« Elles sont fées ! » s’écrie Gérard stupéfait.

Et Djaldi, qui est ravi d’admiration devant les menus trésors étalés sous ses yeux, n’hésite pas à endosser cette opinion. Djaldi s’est fait le séide du jeune Français depuis le moment où celui-ci l’a arraché à la main brutale de Jack Tar : il le sert comme un petit esclave, ne le quitte pas plus que son ombre.

« Oh, Sahib ! Que de belles choses ! C’est comme un bazar !… Il ne nous manque rien maintenant… Et ces jolis flacons ! Est-ce à boire ?

— Non. Mais, si tu as la fièvre, tu trouveras ici de quoi la combattre. Ceci est notre pharmacie de voyage… C’est ma mère qui l’a composée… Tu as bien une mère aussi, quelque part, Djaldi ?…

— Oh oui ! Et aussi un père, et des frères et des sœurs… dit l’enfant songeur ; mais pas du tout comme ceux du Sahib.

— En quoi sont-ils différents ?

— Je ne sais pas… fit Djaldi, perplexe ; ils rêvent… ils rêvent… ils bâillent… Et, quand Djaldi a été enlevé par les méchants hommes, personne, j’en suis sûr, ne s’est fait du chagrin… Et puis, ce ne sont pas des gens qui commandent comme vous… Ils ne connaissent pas tous les instruments, tous les livres, comme le grand Sahib Henri… »

Et, arrondissant de gros yeux innocents, Djaldi demande d’un ton de vénération :

« Il est très savant, n’est-ce pas ? Savant comme un bonze, peut-être ?

— Comme plusieurs bonzes ! dit Gérard. Si versé dans tous les arts mécaniques, que tu ne peux te faire l’idée la plus lointaine de son savoir.

— Je sais, répond Djaldi, remuant la tête d’un air profond, c’est lui qui avait donné la vie au grand oiseau que l’obus du Silure a tué.

— Oui. Et, si seulement cette misérable terre offrait les ressources indispensables, M. Wéber et lui auraient bientôt fait de rebâtir un autre Epiornis, de lui donner, comme tu dis, la vie, — et nous, de nous envoler d’ici…

— Je vois. Ce sont de grands magiciens », constate Djaldi très sérieux et sans nulle surprise, car les fées et les magiciens sont des personnages avec qui cet âge est familier.