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JULES VERNE

les compromettre, il leur tardait d’avoir quitté la Barbade. Alors, en pleine mer, ils seraient à l’abri de toute éventualité et arriveraient au dénouement de ce drame.

On peut dire, sans trop d’exagération, que l’île est un immense jardin, riche en fruits, riche en fleurs. De ce jardin, qui est aussi un potager, l’industrie agricole tire à profusion le riz, le coton de l’espèce « barbadeuse », recherché sur les divers marchés d’Europe. Quant au sucre, sa production est considérable. Il y a lieu d’ajouter que les établissements industriels s’y trouvent en prospérité croissante. En effet, on ne compte pas moins de cinq cents usines à la Barbade.

En diverses occasions, lorsque les touristes visitèrent les autres villes, leur excursion se prolongeant, ils ne purent rentrer le jour même à Nording-House. Ce fut l’exception, et, presque tous les soirs, ils se réunissaient dans les salons du château. Plusieurs fois, les notables de Bridgetown, Son Excellence le Gouverneur, les membres du Conseil exécutif, quelques hauts fonctionnaires, vinrent s’asseoir à la table de Mrs Kethlen Seymour.

Le 17, il y eut une grande fête qui ne compta pas moins d’une soixantaine d’invités, — fête que devait terminer un feu d’artifice. Les jeunes lauréats en eurent tous les honneurs, sans distinction de nationalité.

Et Mrs Kethlen Seymour de redire sans cesse :

« Je ne veux voir ici ni Anglais, ni Français, ni Hollandais, ni Suédois, ni Danois… Non ! rien que des Antillans, mes compatriotes ! »

Après un concert où l’on exécuta d’excellente musique, quelques tables de whist furent dressées, et M. Horatio Patterson, partenaire de Mrs Kethlen Seymour, fit, non sans un très légitime orgueil, un extraordinaire chelem de dix fiches dont on parle encore dans les Indes Occidentales.

Ainsi s’écoula le temps avec une telle rapidité que les hôtes de Nording-House purent en regarder les jours comme des heures, les heures comme des minutes. Le 21 septembre était arrivé sans qu’ils s’en fussent aperçus. Harry Markel ne les avait point revus à bord. Ils ne tarderaient pas à revenir, d’ailleurs, puisque le départ était fixé au 22.

La veille, cependant, Mrs Kethlen Seymour manifesta le désir de visiter l’Alert. Vive satisfaction pour Louis Clodion et ses camarades, heureux de lui faire les honneurs du navire comme elle leur avait fait les honneurs de son château. L’excellente dame voulait connaître le capitaine Paxton, lui exprimer ses remerciements, — d’autant plus qu’elle avait une demande à lui adresser.

Donc, dans la matinée, les équipages quittèrent le domaine et vinrent s’arrêter au quai de Bridgetown.

Le grand canot de la direction maritime, qui attendait à l’escalier de l’appontement, transporta les visiteurs à bord.

Harry Markel avait été prévenu par l’intendant, et ils se fussent bien passés de cette visite, ses compagnons et lui, craignant toujours quelque complication imprévue ! Or, il eût été impossible de l’éviter.

« Au diable tous ces gens-là !… s’était écrié John Carpenter.

— Soit… mais de la tenue », avait répondu Harry Markel.

Mrs Kethlen Seymour fut reçue avec la convenance et le respect que commandait sa grande situation à la Barbade. Et, tout d’abord, elle offrit au capitaine l’expression de sa gratitude.

Harry Markel mit une extrême politesse dans sa réponse. Puis, comme la châtelaine de Nording-House ajouta que, pour reconnaître les bons soins de l’équipage, elle lui accordait une gratification de cinq cents livres, Corty donna le signal de hurrahs dont l’ardeur ne put que la toucher très sincèrement.

Mrs Kethlen Seymour visita alors le carré et les cabines. Conduite dans la dunette, cette