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d’abord mince et frêle, se renfle graduellement en une sorte de massue couronnée d’un panache de feuilles rubanées, disons plutôt de lanières flottantes dont on ne saurait trop admirer les élégantes ondulations.

C’est, en effet, par ses mouvements lents et doux que toute cette forêt sous-marine émerveille le regard. Il est facile d’imaginer le spectacle que doivent offrir, à la moindre agitation des vagues, toutes ces plantes longues et souples, aux chevelures étalées, aux courbes toujours fuyantes ; mais ce qu’il serait impossible de décrire, ce sont les teintes qui courent sur ce tableau mouvant, alors que les rayons du soleil, se brisant dans les flots, en ravivent les éclats que mélange et qu’harmonise, à l’œil, l’estompe glauque des eaux profondes.

Que serait-ce si l’on pouvait en même temps dépeindre — hélas ! que peut la plume ? il faudrait un pinceau — dépeindre les myriades de créatures vivantes qui animent ces paysages fantastiques et tels qu’on en voit en rêve : montrer, entre mille autres, les crabes voyageant au milieu des ulves vertes, les troupeaux de chiens de mer ou les colonnes de harengs argentés se glissant parmi ces madrépores, tandis que la brillante anémone de mer couronne de ses fleurs des massifs de méandrines ou que la cloche azurée de quelque méduse endormie laisse traîner ses tentacules parmi les longs rubans des laminaires.

(La suite prochainement.) Ed. Grimard.



FILLE UNIQUE

CHAPITRE PREMIER (Suite).

Inconsciemment, la famille avait contracté la même habitude. « Pétiôto !… » ce qualificatif s’appliquant aux cinq pieds six pouces de Sidonie, amenait toujours un sourire sur les lèvres des étrangers.

Résignée, la vieille fille ne protestait pas, mais qu’elle était donc reconnaissante à ceux qui l’appelaient Sidonie ! On obtenait d’elle tout ce qu’on voulait en faisant vibrer à son oreille les trois syllabes de son prénom.

Clairette le savait… et en usait ; qu’il s’agît de la décider à traverser la Loire en barque et à escalader le versant opposé pour gagner le camp d’Antoune, ce vieux camp romain qui domine les ruines du château d’Arlempdes, ou de s’en faire accompagner à Montcoudiol, afin d’entrevoir le Mézenc, le Gerbier-des-Joncs, le Meygal…

Ah ! la terrible enfant !

Tandis qu’en quelques secondes la vision groupait, comme pour l’appeler, tout ce qui l’avait charmée là-bas, voici la question que son père et sa mère lisaient dans son regard perplexe :

« Où serai-je mieux ?… »

Et comme le bonheur de la chère ingrate importait seul, ils suivaient avec anxiété le flottement de sa pensée, se demandant, eux aussi :

« Où sera-t-elle mieux ?… Couvée par notre amour en ce pays étranger, où le confort, les amies de son âge, la vie au grand air, tout lui manquera, hors notre tendresse, ou bien dans le vieux nid de famille, qu’elle aime, et où l’affection ne lui fera pas défaut non plus ?… »

Et voilà que cette folle rieuse bat des mains tout à coup et s’écrie :

« Allons-y tous les trois, à Arlempdes, chez grand’mère. La maison est assez vaste pour que nous y puissions trouver place. On vit de si peu, là-bas ! Il nous reste bien quelque chose, ce vilain Portugal ne nous a pas tout pris.

— Non, répondit M. Andelot ; il nous a