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JULES VERNE

dignité dont M. Patterson apprécia toute la valeur.

Il était vraisemblable, d’ailleurs, que la relâche de l’Alert à la Barbade se prolongerait plus que dans les autres îles. N’était-il pas naturel que Mrs Kethlen Seymour désirât garder quelque temps près d’elle les boursiers d’Antilian School, et ceux-ci pourraient-ils se refuser à lui faire ce plaisir ?… N’était-il pas non moins naturel que l’excellente dame voulût leur montrer cette île qu’elle considérait sans doute comme la plus belle des Indes Occidentales ?…

À dix heures et demie, M. Patterson, irréprochablement habillé de noir, ses jeunes compagnons, vêtus de leurs costumes les plus propres, étaient prêts à partir.

Le grand canot de l’Alert les attendait. Après avoir descendu un certain nombre de valises, ils y prirent place, et l’embarcation revint à bord dès qu’elle les eut déposés sur le quai.

Ainsi que l’avait dit M. Well, deux équipages étaient là, cocher sur le siège, valet de pied aux portières.

M. Patterson et ses compagnons montèrent aussitôt dans les voitures, qui partirent au trot des attelages, et, après avoir traversé les rues marchandes voisines du port, elles atteignirent le faubourg de Fontabelle.

C’est ce quartier élégant qu’habitent les riches négociants de Bridgetown. Les superbes maisons, les opulentes villas s’y élèvent au milieu des arbres, et, de toutes ces résidences, la plus somptueuse était, sans contredit, celle de Mrs Kethlen Seymour.

Il avait été convenu que, pendant le séjour à la Barbade, personne ne reviendrait à bord : on ne reverrait Harry Markel que le jour du départ.

D’une certaine façon, cela ne pouvait que convenir à celui-ci. Les passagers une fois installés à Nording-House, l’Alert ne recevrait aucun visiteur, et le faux capitaine Paxton courait moins de risques d’être reconnu.

Mais, d’autre façon, ce qui ne laissait pas de l’inquiéter, c’était la prolongation de la relâche. Si le programme imposé par Mrs Kethlen Seymour ne comportait que deux à trois jours dans les autres Antilles, on ignorait les intentions de cette dame en ce qui concernait la Barbade. Il se pouvait fort bien que l’Alert dût rester une semaine à Bridgetown, peut-être deux, c’est-à-dire jusqu’au 20 septembre. Même en partant à cette date, avec une traversée moyenne de vingt-cinq jours de l’Amérique à l’Europe, les pensionnaires d’Antilian School seraient de retour pour la mi-octobre, presque au début de l’année scolaire. Donc, il était possible que la relâche ne prît fin que vers le 20, ce qui permettrait aux hôtes de Mrs Kethlen Seymour d’explorer complètement l’île.

C’est bien à cela que réfléchissaient Harry Markel et ses compagnons. Après avoir réussi jusqu’alors, après avoir évité la visite de ce matelot du Fire-Fly qui demandait à voir un de ses camarades, puis celle du vieux marin de la Dominique qui voulait serrer la main du capitaine Paxton, la malchance se déclarerait-elle contre eux à la Barbade ?…

En tout cas, Harry Markel se tiendrait plus sévèrement que jamais sur ses gardes. Il refuserait toute invitation qui lui serait adressée pour Nording-House. Pas un seul de ses hommes ne descendrait à terre. Cette fois, ni Morden ni aucun autre n’aurait l’occasion d’aller se griser dans les tavernes de Bridgetown.

Magnifique propriété, ce domaine de Nording-House. Le château s’élève au milieu d’un parc ombragé des plus beaux arbres de la zone tropicale. Autour s’étendent les plantations de cannes à sucre, les champs de cotonniers, avec un horizon de forêts dans le nord-est. Étangs, rios, y sont alimentés d’eaux toujours fraîches, bien que le défrichement de l’île ait amené la diminution des pluies.