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rard surpris, j’avais complètement oublié le petit Hindou ! Comment vas-tu, Djaldi ? As-tu bien dormi, mon enfant ?… »

Instinctivement le novice, ayant trouvé générosité et protection chez les deux frères, était venu nicher non loin d’eux, la veille, lorsque Anglais et Français avaient pris possession de leur gîte aux deux extrémités de la grotte.

« Oh, oui ! Bien dormi ! fit Djaldi. Bon lit !… Très bien ici… Bien mieux (baissant la voix) que sur leur méchant Silure. Djaldi beaucoup content de rester auprès Sahibs français, beaucoup content !…

— À la bonne heure, dit Gérard, non sans un soupir étranglé en chemin : en voilà toujours un qui n’est pas difficile à satisfaire !…

— Djaldi servir Sahibs français. Toujours ! toujours ! reprit l’enfant avec un redoublement d’enthousiasme. Sahibs français plaindre Djaldi, le soigner, lui donner des sous… Djaldi fera tout pour eux !…

— Grand merci, mon petit, répondit Gérard. Mais commence par ne pas troubler par tes bavardages le sommeil de ces honnêtes gens qui dorment là-bas de tout leur cœur ; et, puisque tu es si bien disposé, va tout droit à la fontaine et reviens-moi luisant comme un penny neuf. Les Sahibs français ont horreur de la crasse ; ils ne pourraient jamais estimer un serviteur malpropre. Voici un morceau de savon ; tâche de te débarbouiller !

— Entendre c’est obéir », fit le petit Hindou ; et, portant à son front avec grand respect le morceau de savon, il prit à son tour le chemin de la fontaine.

« Pauvre petit diable ! dit Henri, apitoyé, notre bon vouloir et notre protection lui seront, je le crains, bien inutiles.

— Non pas, répliqua vivement Gérard. Brutalisé et maltraité comme il était à toute heure, sa nature ne pouvait manquer de se détériorer. Nous en ferons, j’espère, un honnête homme. J’ai l’intention de demander au commandant…

— Un honnête homme ! répéta le frère aîné, non sans amertume. Oublies-tu donc notre triste condition ? Qu’espères-tu ?… Nous avons à peine de quoi subsister deux mois…

— On peut faire bien des choses en deux mois. Et d’ailleurs, qui nous dit que nous ne parviendrons pas à renouveler nos vivres ? Rien que cette fontaine d’eau courante et très potable, n’est-ce pas un secours inattendu et qui peut nous faire espérer d’autres surprises aussi agréables ?

— Il faudra que j’en étudie la nature et la source ; ce phénomène est en effet curieux, dit Henri, chez qui le naufragé céda soudain la place au naturaliste et au géologue qui étaient en lui. Je l’ai acceptée hier comme chose toute simple. Qui s’étonne devant un verre d’eau pure ? C’est pourtant ici, ainsi que tu le dis, un luxe aussi inattendu que précieux.

— Quelle est, au juste, d’après toi, la latitude où nous pouvons bien nous trouver ?

Au juste est un peu ambitieux. J’attendrai, pour te répondre, les précisions de l’état-major… Autant qu’il est possible d’en juger par l’abondance des icebergs et par l’obliquité des rayons solaires, nous devons être aux environs du 55e parallèle, c’est-à-dire à peu près au niveau du cap Horn ou des îles Falkland, et fort au-dessous de l’Afrique australe… Car le vent n’a pas cessé de souffler du plein Nord, depuis que nous avons enfilé ce maudit canal de Madagascar… Il me tarde de causer de tout cela avec le commandant Marston et avec notre excellent ami Wéber… Quand donc tous ces savants s’éveilleront-ils ?

— Laissons-les à leur bienheureuse inconscience, répliqua Gérard. Notre brave Le Guen prend, lui aussi, sa revanche de cette diabolique tourmente… Qu’ils dorment, les pauvres ! … Et nous, allons explorer notre nouvelle patrie, voir quelles ressources elle peut