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— Pierrot.

— Votre maman est donc malade ?

— Oui, elle a pris froid, l’autre jour, en sortant de l’atelier… Elle est retoucheuse dans une fabrique de porcelaine…

— Retoucheuse ? je ne connais pas ce métier-là ! …

— Lorsque les assiettes ont été plongées dans la cuve qui renferme le bain de feldspath, il faut régulariser la glaçure, enlever tous les petits défauts. C’est ce que fait maman… Ce n’est pas bon pour la poitrine !… Toutes les retoucheuses toussent !…

— Et votre papa ?

— Il est mort, voici trois mois !…

— J’ai perdu aussi ma mère, il y a huit jours… Maintenant, je suis tout à fait orphelin.

— Que je vous plains…

— Alors, vous êtes très pauvre ?…

— Depuis hier, nous n’avons plus d’argent à la maison. Je ne sais pas si le laitier voudra, demain, donner du lait pour Pierrot. »

Jaquissou, involontairement, tâta les pièces d’argent qui dansaient au fond de son gousset… Ah ! si elles lui appartenaient !… Mais, hélas ! elles n’étaient pas à lui !

Catherine s’arrêta devant la maison la plus délabrée de la triste rue.

« Nous voici arrivés ! » déclara-t-elle.

Et elle ajouta, en reprenant le bébé :

« Vous êtes bien bon… Dites-moi votre nom, pour que je le mette dans mes prières.

— Jaquissou !

— Je vous remercie, Jaquissou. Nous causerons de vous avec maman. »

Dans ses façons de parler et d’agir, elle se conduisait déjà en petite femme sérieuse : la misère mûrit.

Le garçonnet reprit le chemin de son nouveau logis, et, après un court arrêt chez le marchand de légumes, vieux soldat, dont la jambe de bois avait de maussades piétinements, il vint soulever le lourd heurtoir de fer forgé.

« Aux pommes de terre ! » cria le père Léonard. Et lui-même tira un couteau de sa poche pour aider l’enfant.

« Que penses-tu de Limoges ? demanda-t-il en pelant les tubercules, longs et blonds, qui encombraient la table de la cuisine.

— Je trouve que les rues sont sales, monsieur ! Chez nous, la neige habille la campagne d’une robe de première communiante !… Ici, elle ne sert qu’à faire glisser les gens !…

— La faute en est aux fours à porcelaine !…

— L’hiver est plus triste aussi dans les grandes villes, je m’en aperçois… Les malheureux souffrent… ils manquent de tout… Chez nous, les riches laissent prendre du bois mort dans leurs forêts, et, quand il y a des malades, les voisins les aident, et les dames du château leur envoient du bouillon, du vin vieux, de chaudes couvertures.

— On ne peut comparer les habitudes de la campagne à celles de la ville… Ici, les pauvres sont pour la plupart des paresseux qui ont des nichées d’enfants ; ils trouveraient agréable de se croiser les bras, tandis que de bonnes âmes donneraient la becquée à leur marmaille… Je ne me laisse pas prendre à ces histoires-là…

— Monsieur, je vous assure que, sur le nombre, beaucoup sont fort à plaindre… Ainsi, ce matin, j’ai rencontré une petite fille dont la mère est retenue au lit… Elles n’ont plus d’argent et ne savent pas si le laitier voudra continuer à fournir du lait pour le bébé, qui a dix ou onze mois, un joli bébé qui rit tout le temps !…

— Je ne me chargerai point d’élever au biberon les enfants des autres !… moi qui n’ai jamais voulu me marier !… Il ne manquerait plus que cela… Je te prie de ne plus causer dans la rue avec les gens que tu ne connais point et de laisser tranquilles tes meurt-de-faim ! »

Jaquissou possédait un trop bon cœur pour