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pour le transport des vivres et des troupes pour qu’un soulèvement de tribu, dans son voisinage, ne puisse être vite arrêté. »

« Elle éclata, en réalité, dans l’un des ksour jumeaux de Moghar. Ces deux oasis sont situées à une quarantaine de kilomètres à l’ouest d’Aïn-Sefra.

« Cependant je m’y suis rendu, l’an dernier, par le Sud, en partant de Djenien, et en longeant la ligne.

« Le trajet n’est pas long, mais très difficile à travers les escarpements.

« L’oasis apparaît assez brusquement : quatre ou cinq mille palmiers, groupés sur les deux rives d’un oued, entourés de vestiges de murailles et de tours branlantes : Moghar Foukani (Moghar le haut).

« Le Ksar, pauvre et sale, se recroqueville au nord, peureusement, contre les jardins. Ce fut un grenier des Hamyane, convoité à plus d’une reprise et pillé par les gens du Zegdou.

« En 1849, Pelissier y conduisit la première colonne française, ainsi qu’à Moghar Tahtani (Moghar le bas), où je me rendis aussitôt et sans m’arrêter.

« Ce second village, très proche du confluent de l’oued Moghar avec l’oued Namouss, se présente sous des apparences moins misérables, avec sa forêt de vingt mille palmiers. Les souvenirs anciens et récents qui se rattachent à son passé lui donnent une place importante dans l’histoire du Sud oranais.

« Sidi Cheikh, avant de se fixer définitivement à El Abiod, avait entrepris, comme vous devez le savoir, puisqu’on vous a raconté son histoire, de parcourir les principales villes du Maroc, afin d’y recueillir, dans leurs zaouïas, la doctrine et les enseignements des marabouts célèbres et des mystiques, nombreux, à l’époque, dans ce pays. Après qu’il se crut suffisamment perfectionné dans la science de Dieu, il songea au retour vers la tente paternelle. C’est alors que, passant à travers le pays des Hamyane, il trouva ces nomades si éloignés du bien, si indifférents à la prière et aux choses de la religion, qu’il résolut de ne pas pousser plus loin, pour le moment, afin de se consacrer quelque temps à leur salut. Dans ce but, il s’installa dans Moghar Tahtani, où ces tribus se rendaient assez fréquemment, soit pour ensiloser leurs grains, soit pour les y reprendre au fur et à mesure de leurs besoins, et y fonda une zaouïa dans laquelle il installa de savants lettrés mandés du Maroc. Son œuvre gagna rapidement dans le pays une grande considération et ne tarda pas à devenir florissante. Ce n’est qu’alors que, la confiant provisoirement à un de ses disciples, il retourna vers El Abiod. Il ne cessa point, pour cela, de la couvrir d’une grande sollicitude ; il y revint à plusieurs reprises dans la suite ; enfin, plus tard encore, il y envoya, pour la diriger, l’un de ses propres fils, Sidi Tadj, né de son mariage avec une Figuiguienne.

« Tadj finit ses jours et fut enterré dans la zaouïa. Ses enfants se fixèrent quelques années dans le pays, puis, l’œuvre paternelle périclitant, ils émigrèrent presque tous dans la patrie de leur mère, où maintenant encore habite en partie leur descendance.

« C’est dans cette fraction marocaine des Oulad Sidi Cheik Gharaba que naquit, en 1840, Mohammed bel Arbi, surnommé Bou Amama[1], au lieu dit Hammam Foukani, un des neuf ksour de Figuig.

« Son père, petit marabout misérable et mendiant, vivait uniquement des rares aumônes que lui valait sa qualité de descendant de Sidi Cheikh. Lorsqu’il mourut, Mohammed bel Arbi, encore très jeune, fut recueilli par un mokaddem des Cheikhiia[2], qui lui ensei-

  1. Bou Amama, le père du Turban, le maître du Turban. Cest un des titres que les Cheikhiia avaient décernés à Sidi Cheikh. Mohammed bel Arbi l’adopta pour lui-même.
  2. Mokaddem, envoyé d’une confrérie religieuse, qui a le pouvoir de porter la parole, de prêcher, de faire de la propagande enfin.