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« Votre mère m’a promis de vous laisser venir demain à Gray Tors, dit-il, et j’en suis heureux, car votre père aurait désiré ce voyage. Il était très lié avec son cousin et lui faisait de fréquentes visites.

— Je ne trouve pas raisonnable que Jock parte demain et manque ses classes ; il vaudrait mieux attendre les vacances.

— Mon client n’est plus jeune, allégua le notaire, et je vous ai dit pourquoi j’espérais que l’enfant m’accompagnerait tout de suite. Nous discutions à ce sujet quand cette jeune demoiselle est entrée, ajouta-t-il en regardant Doris, comme s’il désirait n’en pas dire plus long devant les enfants.

— Eh bien ! emmenez-le, puisque tel est votre avis. Vous êtes vraiment trop bon de vous charger d’un enfant aussi turbulent, et pendant un pareil voyage. »

À ce moment, la conversation fut interrompue : le thé était servi, et il n’en fut pas dit davantage sur la visite projetée. Tout en passant le pain, le beurre, les biscuits à leur aimable visiteur, les deux enfants attendaient avec curiosité, espérant avoir plus de détails sur M. Grimshaw et sa maison.

À la fin, M. Harrison se leva pour sortir.

« Je prendrai le premier train demain matin, dit-il ; le trajet est long et nous avons Londres à traverser. Donc, que ce jeune homme soit exact, s’il veut me trouver à la gare.

— Je préparerai ce soir tout ce qui lui est nécessaire, répondit la mère. Je regrette de ne pouvoir vous offrir l’hospitalité pour cette nuit, nous sommes si petitement logés !

— Merci bien ; j’ai laissé ma valise à l’auberge, répondit le vieux notaire ; je serai près de la gare et dispensé de me lever de très bonne heure. Maintenant, il faut que je me retire ; peut-être m’accompagnerez-vous un peu sur la route, ajouta-t-il en s’adressant à Jock ; car j’ai eu grand’peine à trouver mon chemin et je ne sais si je me le rappellerai. »

Jock ne se fit pas prier. Il se sentait attiré vers le vieux monsieur et se plaisait à contempler cette bonne figure, toujours souriante. Il désirait aussi obtenir plus de détails sur le voyage qu’il devait faire.

« Comment est M. Grimshaw ? Sera-t-il bon pour moi ? demanda-t-il aussitôt qu’ils furent en route.

— Il est original, et il faudra vous attendre à des vivacités ; mais votre père et lui étaient deux amis.

— Oui, je me rappelle que papa avait l’habitude d’aller le voir ; quelquefois, il me parlait de son cousin Pierre… Mais, si M. Grimshaw aimait vraiment mon père, pourquoi n’invite-t-il jamais maman à venir passer quelque temps chez lui ? »

M. Harrison hésitait.

« Je vous ai dit que le cousin était vif ; eh bien ! la vérité est que votre mère l’a froissé un jour, et jamais il ne lui a pardonné.

— Alors, je ne veux pas aller le voir ; je n’irai pas, s’écria Jock, la tête rejetée en arrière d’un air de défi et les yeux pleins de colère.

— Mon enfant, soyez sûr que personne, autant que votre père, n’a été à même de juger l’affaire ; or, il est venu chez son cousin après la querelle (mais ce mot est bien trop fort). Et puis, il y a longtemps que tout cela s’est passé ; vos parents n’étaient pas encore mariés. Voici d’ailleurs le fait : M. Grimshaw avait envoyé à votre mère un cadeau de noces qu’elle trouva sans valeur : elle eut l’imprudence de le dire à des amies ; ses paroles arrivèrent aux oreilles de M. Grimshaw. Votre père fut très contrarié, car il avait reçu de son cousin un magnifique présent qu’il devait tenir secret. Sans doute, votre parent a eu tort de se fâcher pour si peu ; mais, comme vous le savez déjà, il s’emporte facilement et, depuis ce jour, il n’a jamais revu votre mère, pas plus qu’il ne lui a écrit. »

Jock avait écouté en silence et semblait réfléchir. Puis, comme pleinement éclairé :