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eux-mêmes, ils ne pouvaient plus qu’attendre.

On ne conservait qu’une seule lampe allumée, afin de reculer l’heure des ténèbres absolues : le comble de l’horreur en une telle détresse.

Les provisions du jour, mises en commun, avaient été divisées en deux parts : c’étaient vingt-quatre heures d’assurées contre la famine. Après ?… on évitait d’y penser…

De l’autre côté on déblayait sans relâche. Les équipes se succédaient d’heure en heure, les hommes travaillaient coude à coude. Mais, si l’eau continuait de monter, le sauvetage deviendrait impossible.

La source qui s’était fait jour avait été grossie par la fonte des neiges ; car on était au commencement de mai. Qui sait quelle réserve elle avait encore à déverser dans les galeries de la mine.

Les choses en étaient là quand un étranger se fit descendre et aborda l’ingénieur qui dirigeait les travaux.

Ils discutèrent longtemps. L’ingénieur semblait opposé à ce que demandait le nouveau venu. Mais ce dernier fit tant et si bien qu’il finit par gagner sa cause.

Une planche de la taille d’un homme fut apportée ; l’inconnu s’y étendit et s’y attacha vers le milieu du corps, demanda une perche, et, la lampe au chapeau, lança son radeau improvisé dans la galerie submergée.

Son apparition stupéfia d’abord les travailleurs. Mais ceux-ci furent frappés de l’ingéniosité du système ; et, en tirant la conclusion que celui qui avait imaginé cela devait avoir en l’esprit d’autres ressources, ils attendirent, immobilisés par une soudaine espérance.

Élevant sa lampe, l’inconnu essaya de reconnaître le terrain. Il s’était détaché, mis à genoux sur la planche qu’à un signe de lui, quatre hommes étaient venus soutenir de leurs robustes épaules.

Cela lui permit de découvrir tout en haut, entre les madriers tombés pêle-mêle et les bois du plafond, écroulés sous le poids énorme de la masse mise en mouvement, un étroit intervalle.

« Je vais essaver de m’enfiler dans ce trou », annonça-t-il.

Ce fut autour de lui un murmure d’admiration et de terreur.

« Vous allez à la mort », observa l’un des hommes. Mais lui secoua la tête en riant, d’un air assuré.

Il serait prudent, n’avancerait qu’avec une extrême attention, prêt à reculer s’il jugeait l’entreprise impossible.

Impossible ?… Pourquoi lui serait-elle impossible, alors que ce courageux ouvrier, dont les journaux avaient jadis reproduit par l’image l’audacieuse tentative, avait réussi en employant des moyens identiques.

C’était de ce souvenir qu’il s’était inspiré.

L’inconnu se contenta de se faire ses réflexions à lui-même prononçant le russe aussi malaisément qu’il l’entendait.

En rampant avec d’infinies précautions, il atteignit l’orifice de l’étroit passage qu’il avait entrevu. Jusqu’où se prolongeait-il ?… À un moment ou l’autre, il devait être obstrué, puisqu’on ne communiquait plus par la voix.

Restait à s’assurer si, dans la portion pleine, un déblayage partiel était à tenter. L’équipe interrompit le travail par crainte de provoquer une secousse fatale au hardi sauveteur.

Tous les yeux étaient levés vers lui. On le vit bientôt disparaître dans l’étroit boyau. Sa lampe jetait une faible lueur : donc ce passage était un peu plus haut que le corps d’un homme étendu à plat.

L’anxiété tenait tout le monde haletant.

Quelques minutes encore la lumière fut visible à celui des mineurs qui avait pris sur la planche la place de l’inconnu ; puis l’ombre se fit.

Cependant aucun glissement de terrain n’avait dû se produire ; on n’avait perçu aucun bruit…