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JULES VERNE

terson, M. Patterson mettait, sous les dernières lignes de la lettre, cette signature à paraphes compliqués qui dénotait chez ce digne homme un véritable talent calligraphique.

Ce serait le lendemain matin seulement que les touristes rentreraient à bord vers huit heures. Ils passèrent donc cette soirée dans l’habitation dont Roger Hinsdale tenait à leur faire les honneurs jusqu’au dernier moment.

Quelques amis de M. Edward Falkes avaient été invités à prendre place à table, et, comme d’habitude, après les toasts à la santé de chacun, chaque convive but à Mrs Kethlen Seymour. Dans quelques jours, les jeunes boursiers auraient fait la connaissance de cette grande dame… La Barbade n’était plus loin… La Barbade, la dernière relâche dans ces Antilles dont les lauréats garderaient un éternel souvenir !

Cependant, cet après-midi-là, il s’était produit un incident d’une telle gravité que l’équipage put croire que la situation allait être irrémédiablement compromise.

On le sait, Harry Markel ne laissait descendre ses hommes à terre que pour les besoins du bord. La plus simple prudence lui commandait d’en agir ainsi.

Mais, vers trois heures, il fut nécessaire de prendre livraison de viande fraîche et de légumes, dont le cuisinier Ranyah Cogh avait fait acquisition sur le marché de Castries.

Sur l’ordre de Harry Markel une des embarcations fut armée pour conduire le cuisinier au quai avec un des matelots, nommé Morden.

Le canot poussa, et, quelques minutes après, il était revenu à l’arrière de l’Alert.

À quatre heures, lorsque le maître d’équipage l’eut renvoyé à terre, quarante minutes s’écoulèrent avant son retour.

De là, vives inquiétudes d’Harry Markel, que John Carpenter et Corty partagèrent. Qu’était-il arrivé ?… Pourquoi ce retard ?… Des nouvelles venues d’Europe faisaient-elles planer des soupçons sur le capitaine et l’équipage de l’Alert ?…

Enfin, un peu avant cinq heures, l’embarcation se dirigea vers le bord.

Mais, avant qu’elle eût accosté, Corty s’écria :

« Ranyah revient seul !… Morden n’est pas avec lui…

— Où peut-il être ?… demanda John Carpenter.

— Dans quelque cabaret, où il sera tombé ivre-mort !… ajouta Corty.

— Ranyah aurait dû le ramener quand même, dit Harry Markel. Ce damné Morden est capable de parler plus qu’il ne faut sous l’excitation du brandy ou du gin !… »

C’était probablement ce qui avait eu lieu, et ce fut ce que l’on apprit de la bouche même de Ranyah Cogh. Tandis qu’il s’occupait des acquisitions au marché de la ville, Morden l’avait quitté sans rien dire. Poussé par ses goûts d’ivrognerie qu’il ne pouvait satisfaire à bord, il était échoué, en ce moment, sans doute, dans quelque cabaret. Le cuisinier chercha à retrouver son compagnon. Ce fut en vain qu’il visita les tavernes du quartier maritime ! Impossible de remettre la main sur ce maudit Morden, qu’il eût amarré au fond du canot.

« Il faut à tout prix le retrouver… s’écria John Carpenter.

— Et nous ne pouvons le laisser à Sainte-Lucie ! … Il bavarderait… Il ne sait plus ce qu’il dit quand il a bu, et nous aurions bientôt un aviso à nos trousses !… »

Ces craintes n’étaient que trop sérieuses, et jamais Harry Markel n’avait couru un danger plus grand !

Donc nécessité de réclamer Morden. C’était d’ailleurs le droit et le devoir du capitaine… Il ne pouvait laisser à la côte un homme de l’équipage, et on le lui rendrait dès qu’il aurait établi son identité. Pourvu qu’il n’eût pas parlé à tort et à travers !…