Page:Hetzel - Verne - Magasin d’Éducation et de Récréation, 1903, tomes 17 et 18.djvu/52

Le texte de cette page a été corrigé et est conforme au fac-similé.
44
JULES VERNE

la verte Erin. Une journée, c’est tout ce qu’exigerait la navigation entre la Grande-Bretagne et l’Irlande, et, dans la pensée de M. Patterson, cela suffirait à son apprentissage de la mer.

Quant aux familles des jeunes boursiers, qui avaient été consultées, les réponses ne tardèrent pas à parvenir, soit par télégrammes, soit par lettres. En ce qui concernait Roger Hinsdale, cela se fit le jour même, puisque ses parents habitaient Londres, et ce fut le lauréat en personne qui alla leur faire connaître les intentions de Mrs Kethlen Seymour. Les autres réponses arrivèrent successivement de Manchester, de Paris, de Nantes, de Copenhague, de Rotterdam, de Gotteborg, et un télégramme fut câblé d’Antigoa par la famille d’Hubert Perkins.

La proposition avait reçu l’accueil le plus favorable, et avec les remerciements très sincères pour Mrs Kethlen Seymour, de la Barbade. Tandis que Mrs Patterson s’occupait des préparatifs du voyage en ce qui concernait son mari, M. Patterson mettait la dernière main à la comptabilité générale d’Antilian School. On peut être assuré qu’il ne laisserait ni une facture en souffrance, ni une écriture incomplète. Puis, il demanderait décharge à qui de droit de sa gestion arrêtée au 28 juin 1877.

Mais, en même temps, il ne négligeait rien de ses affaires personnelles, et, sans doute, il régla comme il l’entendait celle à laquelle il tenait tout particulièrement, et dont il dut parler à Mrs Patterson plus explicitement qu’il ne l’avait fait lors de leur premier entretien.

À ce sujet, toutefois, un silence absolu fut gardé par les intéressés. Apprendrait-on dans l’avenir ce dont il s’agissait ?… Oui, sans doute, si, par malheur, M. Horatio Patterson ne revenait pas du Nouveau Monde.

Ce qui est certain, c’est que les deux époux firent plusieurs visites à un homme de loi, un solicitor, et que même ils se présentèrent devant les magistrats compétents. Et, ce qui fut parfaitement observé par le personnel d’Antilian School, c’est que M. Patterson, certain jour, revint à son appartement l’air plus grave, plus réservé que d’habitude, et que Mrs Patterson avait les yeux rouges, comme si elle venait de verser un flot de larmes.

D’ailleurs, on attribua cela à la douleur d’une future séparation, et ce sentiment de tristesse parut très justifié dans la circonstance.

Le 28 juin arriva. Le départ devait se faire dans la soirée. À neuf heures, le mentor et ses jeunes compagnons prendraient le train pour Bristol.

Dans la matinée, M. Julian Ardagh eut une dernière entrevue avec M. Patterson. En même temps qu’il lui recommandait de tenir avec une parfaite régularité la comptabilité du voyage, — recommandation inutile, — il lui fit sentir toute l’importance de la tâche qui lui était confiée, et combien il se reposait sur lui pour maintenir la bonne harmonie parmi les pensionnaires d’Antilian School.

À huit heures et demie du soir, les adieux s’échangèrent dans la grande cour. Roger Hinsdale, John Howard, Huber Perkins, Louis Clodion, Tony Renault, Niels Harboe, Axel Wickborn, Albertus Leuwen, Magnus Anders, serrèrent la main du directeur, des professeurs et de leurs camarades qui ne les voyaient pas partir sans quelque envie, bien naturelle, après tout.

M. Horatio Patterson avait pris congé de Mrs Patterson, dont il emportait la photographie, et il s’était exprimé en phrases émues, mais avec la conscience d’un homme pratique, qui s’est mis en règle contre toutes les éventualités.

Puis se retournant vers les neuf boursiers, au moment où ils allaient monter dans le break qui devait les conduire à la gare, il dit, eu accentuant toutes les syllabes de ce vers d’Horace :

Cras ingens iterabimus æquor.