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humains, d’ustensiles, sommairement mais correctement indiqués. Ils voient se dérouler sous leurs yeux une longue procession d’êtres immobiles, oiseaux gigantesques, élans aux longues cornes, aurochs à la physionomie farouche ; puis, derrière eux, homme, femme et enfant, la famille humaine ; l’homme est armé : sa forte main brandit une lance, son épaule porte une hache ; la femme, pliant sous le lourd fardeau du gibier et des ustensiles de ménage, soutient par surcroît son enfant à califourchon sur la hanche gauche ; et l’enfant suce son pouce d’un mouvement naïf que l’artiste inconnu s’est efforcé de rendre avec une gaucherie touchante.

« Il est certain que l’île est habitée ! répète Gérard.

— Dis plutôt qu’elle l’a été, répliqua Henri. Il est d’ailleurs fort possible qu’elle possède encore des êtres humains : mais ces très curieux dessins remontent certainement à plusieurs centaines, pour ne pas dire plusieurs milliers de siècles !


— Bah !… l’homme de l’âge de pierre nous aurait précédés dans ce séjour enchanteur ?

— Précisément. N’êtes-vous pas frappés comme moi, messieurs, de la similitude de ces dessins avec ceux qu’on découvre dans les cavernes fossiles de nos pays ?

— En effet. J’en ai vu de semblables dans le Northumberland, dit le commandant.

— Étrange chose ! qu’à des distances aussi incommensurables la soif d’idéal, le besoin de reproduire ce qui leur paraissait beau se soient manifestés par des moyens identiques chez ces pauvres êtres ! continua Henri. La preuve que l’homme antarctique a existé est sous nos yeux, et elle nous donne l’assurance réconfortante que là où il a vécu nous pourrons vivre, malgré l’aspect inhospitalier de cette terre.

— Non, mais, je vous en prie, admirez la « bobine » de cette femme, avec son mioche sur la hanche ! interrompit Gérard en pouffant de rire. Ce crâne. !… c’est un vrai pain de sucre !… Et dire que c’était peut-être une professional beauty dans son monde !…

— J’avoue que je préfère nos contemporaines, fit M. Wilson, en riant aussi de bon cœur.

— Soyez certains que leurs aïeules étaient toutes taillées dans ce style, et que la plus exquise de nos mondaines descend de quelque pauvre être tout pareil à celui-ci — comme nous d’ailleurs, reprit Henri en étudiant avec le plus vif intérêt la tête de la femme préhistorique, qui était, en effet, extraordinaire. Cela paraît incroyable et pourtant cela est.

— Il faut avouer que ce n’est pas flatteur, dit Gérard, mais si la race humaine continue à progresser comme, sans nous faire trop d’illusion, nous l’avons fait depuis ces bonnes gens-là, il y a de l’espoir pour nos descendants. Ce seront tous des Apollons et des Vénus, n’en doutons point…

— Et pourtant, la taille diminue, puisqu’on est obligé d’en abaisser, chaque année, le niveau pour le service militaire, remarqua le commandant.

— Alors nous redégringolons ? Nous avons atteint l’apogée ? C’est dommage. Cette idée d’une race croissant en force et en beauté avait quelque chose de consolant… Mais qu’est-ce là ? on dirait une autre porte…

— Voyons, » fit le lieutenant.

Les deux jeunes gens se dirigèrent vers l’extrémité du souterrain opposée à celle par où ils y avaient pénétré et arrivèrent, en effet, devant une sorte de baie à ciel ouvert qui les conduisit à une cave plus petite que la précédente. Celle-ci, qui formait comme un passage, s’ouvrait sur une troisième caverne communiquant par un étroit orifice avec l’extérieur. Les jeunes gens, tous deux de taille très svelte, se glissèrent non sans peine à travers cette ouverture et sortirent à mi-hauteur de la falaise.

Ils aperçurent en bas la crique, à demi recouverte déjà par la marée montante. Regardant autour d’eux, ils distinguèrent à