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avertis comme lui ; ils arrivaient en désordre, s’adressant les uns aux autres des questions incohérentes.

Sur le flanc de tribord les voyageurs virent alors le fantôme démesuré d’un iceberg, qui, frappant le sous-marin en écharpe, lui avait enlevé cinq ou six mètres de bordage. De plus en plus désemparé, diminué d’un quart, le petit navire offrait l’aspect lamentable d’une épave vouée à une destruction certaine et imminente. Quant aux malheureux naufragés, ils pensaient n’avoir plus à attendre que la mort.

Mais tout à coup Gérard, qui promenait son regard sur l’horizon, poussa un cri :

« Là-bas, commandant ! Terre !… »

Tous les yeux se portèrent avidement dans la direction de l’ouest, qu’indiquait son geste. Une sorte de nuage grisâtre, vaporeux, barrait la limite du ciel et des eaux.

« Encore un iceberg, murmura le capitaine.

— Non, commandant, j’en suis persuadé ! Voyez la différence de son aspect général avec tous ceux que nous avons aperçus ces jours-ci !

— Ma longue vue ! » commanda l’officier. Un des matelots la lui apportant aussitôt, il l’appliqua à son œil.

— C’est bien une île, en effet, dit-il en laissant retomber son bras. Hélas ! à quoi bon, puisque nous n’avons aucun moyen d’y atterrir ? … Le canot, qui se trouvait à l’arrière, a été emporté.

— Commandant, fit vivement Gérard, voulez-vous me permettre de vous soumettre un plan ?… Je ne sais si mon idée est pratique, mais il me semble que nous pouvons toujours tenter de l’appliquer.

— Voyons votre idée, fit le commandant avec un sourire découragé.

— Elle est simple. Nous ne saurions rester ici plus longtemps, sans nous vouer à une mort certaine. Ce malheureux navire va couler au premier obstacle qui se trouvera sur sa route… D’autre part, l’abandonner serait renoncer au dernier lien qui nous rattache au monde et sacrifier des moyens de salut encore utilisables. Pourquoi ne pas tenter de le remorquer ? … Nous voici une dizaine d’hommes, tous forts et de bonne volonté. Construisons un radeau qu’il sera possible de diriger en pagayant, — les matériaux ne manquent pas, — et remorquons le Silure vers cette île… quelque inhospitalière qu’elle puisse être, elle vaudra encore mieux pour nous que cette épave condamnée, surtout si nous arrivons à l’échouer, avec ses vivres, ses outils, sa coque elle-même que nous pourrons peut-être radouber…

— Vous avez raison ! déclara le commandant Marston. Mais il n’y a pas un instant à perdre !… à l’œuvre, tous, et vivement !… »

Sous sa direction, les hommes ont bientôt arraché, prélevé sur les aménagements intérieurs du Silure, tous les bois et plaques de tôle nécessaires pour établir sur la passerelle un radeau de six mètres de côté. Des cordes, des harpons, des avirons, une rampe en cuivre, les tables à manger de l’équipage, complètent bientôt le plancher improvisé. Le voici adroitement descendu et flottant à la coupée de bâbord. Gérard, qui ne veut céder cet honneur à personne, saute le premier sur le radeau et l’amène avec Le Guen jusque sous l’avant du Silure. Une forte amarre leur est larguée. Tout le monde s’embarque ; chacun prend son poste ; un gouvernail de fortune est bientôt établi. Des vivres sont descendus. Enfin, le commandant donne l’ordre de nager.

Huit avirons prennent contact avec la mer ; le radeau obéissant entre en marche ; l’amarre grince et se tend ; le sous-marin se redresse et, lentement, il obéit, il entre dans le sillage du radeau et met le cap sur l’île lointaine.

Un hourrah jaillit de toutes les poitrines. Penché sur le plat-bord, le commandant donne ses ordres et règle l’effort commun ; les rameurs font force de bras, et, évitant adroitement tous les obstacles, se glissent entre les icebergs, entraînant toujours le navire. Bientôt, la terre grandit sur les eaux. Elle apparaît