Page:Hetzel - Verne - Magasin d’Éducation et de Récréation, 1903, tomes 17 et 18.djvu/499

Le texte de cette page a été corrigé et est conforme au fac-similé.

Aujourd’hui, à cause de ma grande cuisson, j’ai oublié de déjeuner… Nous souperons mieux, voilà tout ! »

Il passa dans la cuisine… Jaquissou le suivit en laissant sur le sol carrelé la trace humide de ses pas…

« Quitte ta veste ! commanda son nouveau maître, et jette-moi cela sur tes épaules. »

Il lui tendit un vieux sac dont l’enfant s’enveloppa, puis il alluma un fourneau à gaz et posa dessus un pot de terre rempli de bouillon.

« Je n’ai pas de servante, expliqua-t-il. (Cela se voyait de reste, au désordre et à la saleté des casseroles et des autres ustensiles.) Une engeance !… Elles vous volent, potinent avec les voisines, tripotent vos émaux et laissent toujours les portes ouvertes… On est bien plus heureux tout seul… Désormais, tu me serviras… Je suppose que tu sais faire la soupe ?

— Oui, monsieur. Et le fricot aussi !

— À merveille ! Je ne suis pas difficile… des choux, des haricots, des lentilles, des châtaignes, un peu de lard ou de mouton… un bifteck pour n’en pas perdre le goût… voilà tous mes menus. Rappelle-moi ton nom…

— Jaquissou Cabussière, monsieur…

— Eh bien, Jaquissou, à dater de ce soir, je te loge, je te nourris, je t’habille, je m’engage à t’enseigner les secrets de mon art… En retour, tu me sers fidèlement, tu travailles ferme, et, jamais, au grand jamais, tu m’entends, tu ne laisses entrer personne chez moi sans mon autorisation !…

— Oui, monsieur.

— Je m’appelle Léonard Verdureau, mais, à Limoges, on me connaît sous le nom de Léonard tout court, un beau nom, un vrai nom d’émailleur, celui que portait notre maître à tous, le célèbre Léonard Limosin, qui vivait au temps du roi François Ier. Maintenant, voici du pain, du bouillon, un morceau de bouilli, régale-toi, mon garçon… Moi, je vais manger de l’autre côté, dans l’atelier… Je ne peux pas souffrir de dîner en société !… »

Jaquissou ne se plaignit pas de l’arrangement : il ne tenait point à ce que son nouveau maître le vît jouer de la fourchette !…

Il achevait sa dernière bouchée, quand l’émailleur rentra, une lampe à la main.

« Suis-moi, dit-il, je veux te montrer ton logement. »

Ils traversèrent un salon où de précieux émaux pendaient aux murs, deux chambres, hautes de plafond, auxquelles de grands lits à colonnes, tendus de toile perse, donnaient une solennelle apparence, une pièce plus petite qui, seule, semblait habitée, à cause du désordre qui y régnait, et ils entrèrent enfin dans un cabinet, sans cheminée, long et étroit, où il y avait tout juste la place d’une couchette de fer.

« Voici ton domaine ! déclara le père Léonard. Je demeure à côté. Tu as des draps propres sur une chaise… Je les avais atteints pour ce sacripant de Barnabé… Fais ton lit. Couche-toi, dors bien, et, demain, saute à terre quand sonnera le réveil… Je n’aime pas les paresseux ! »

Jaquissou se hâta d’obéir, mais, avant de se glisser sous les chaudes couvertures, il s’agenouilla pour remercier Dieu de l’avoir conduit sous un toit hospitalier, puis, il se coucha en pensant à sa pauvre maman qui devait être si heureuse de le voir à l’abri par cette nuit de neige…

Il pensa aussi que d’autres peut-être seraient moins chanceux que lui, qu’il était bien dommage de laisser vides de bons lits lorsqu’il faisait si froid dehors, puis ses idées s’embrouillèrent et il s’endormit profondément…

Une sonnerie impérieuse déchire les oreilles de Jaquissou ! Quoi ?… qu’est-ce que c’est ?… Mais le réveil-matin donc !… L’enfant saute à bas du lit… Prière, toilette, ménage, il n’oublie rien !… En vingt-cinq minutes, il est prêt, la chambre en ordre !…

« À la bonne heure ! s’écrie Léonard, tu es