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BOURSES DE VOYAGE

Après un substantiel déjeuner dans un bon hôtel, ils parcoururent la capitale de l’île, assise au fond de la grande baie du même nom, et que domine la masse imposante du Fort-Roval. Il y eut à visiter l’arsenal et le port militaire, qui enlèvent à cette cité tout caractère industriel ou commercial. Là, comme en Amérique, comme en Europe, il est difficile que l’esprit militaire et l’esprit civil progressent parallèlement. Aussi, grande différence entre Saint-Pierre et Fort-de-France.

Cette ville n’a point échappé aux deux fléaux qui occasionnent tant de ravages dans les Indes Occidentales. Éprouvée par le tremblement de terre de 1839, qui fit de nombreuses victimes[1], elle s’est relevée, et, actuellement, de superbes promenades s’allongent jusque sur les collines environnantes. Il fallait voir la bande bruyante déambuler à travers cette magnifique allée de la Savane qui aboutit au fort Saint-Louis, puis faire le tour de la place horizontale, plantée de palmiers, au centre de laquelle se dresse la statue en marbre blanc de l’impératrice Joséphine, la créole couronnée, dont le souvenir est resté si cher à la Martinique.

Après la ville, les environs, et c’est à peine si Tony Renault laissait à ses camarades le temps de respirer. Ils durent le suivre sur une hauteur voisine au camp de Balata, puis à ce sanatorium affecté aux troupes qui vont s’y acclimater en arrivant d’Europe. Enfin, l’excursion s’étendit jusqu’aux sources thermales des environs. Et, en passant, il faut remarquer que, jusqu’alors, si nombreux que soient les serpents à la Martinique, le mentor et ses compagnons n’avaient pas rencontré un seul de ces venimeux reptiles.

Le jeune cicérone ne fit même pas grâce à ses camarades d’une excursion au bourg de Lamentin, à travers les forêts qui recouvrent cette partie de File. Ce fut même à cette occasion que se produisit un incident digne d’être rapporté avec quelque détail, car rien de ce qui concerne M. Horatio Patterson ne saurait être tenu dans l’ombre.

Le 31 août, la veille du jour fixé pour le départ de l’Alert, les excursionnistes, après une bonne nuit de repos, se dirigèrent vers l’isthme qui réunit les deux moitiés de l’île. La route se fit gaiement, comme toujours. Les voitures avaient emporté quelques provisions ; chacun ayant sa gourde pleine, on déjeunerait dans les bois.

Après un trajet de quelques heures, Tony Renault et les autres descendirent de voiture, s’engagèrent sous bois et atteignirent, à un demi-kilomètre de là, l’orée d’une clairière qui leur parut toute désignée pour une halte, avant de gagner plus profondément à travers la forêt.

M. Patterson, moins ingambe, était resté d’une centaine de pas en arrière. On ne s’en préoccupa pas, et, assurément, il ne tarderait pas à rejoindre.

Cependant, après dix minutes d’attente, comme le mentor ne reparaissait pas, Louis Clodion, se relevant, appela d’une voix forte :

« Monsieur Patterson !… Par ici, monsieur Patterson ! »

Aucune réponse de l’absent, qu’on n’apercevait pas entre les arbres.

« Est-ce qu’il s’est égaré ?… demanda Roger Hinsdale, en se levant à son tour.

— Il ne peut être loin… » répondit Axel Wickborn.

Et, alors, tous de crier ensemble :

« Monsieur Patterson… monsieur Patterson ! »

Pris d’une certaine anxiété, les jeunes garçons décidèrent de se mettre à la recherche du mentor. La forêt était assez épaisse pour qu’il fût possible, et, par là même, imprudent de s’y égarer. Et puis, si les fauves ne sont pas à craindre, puisqu’on n’en rencontre pas aux Antilles, on risque de se trouver inopi-

  1. Un incendie en a détruit la plus grande partie en 1890.