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BOURSES DE VOYAGE

Dans ces conditions, il était donc à supposer que l’Alert ne gagnerait pas plus de cinq à six milles à l’heure. Aussi Harry Markel fit-il établir les bonnettes du grand mât, du mât de misaine, les voiles d’étais, en un mot complète voilure d’un trois-mâts.

Tony Renault et Magnus Anders ne furent pas les derniers à grimper par les haubans, à gagner les hunes, en s’aidant des hampes de revers, sans même passer par le trou du chat, à se hisser jusqu’aux barres de perroquet, à pousser les bouts des bonnettes, tandis que leurs camarades s’occupèrent à les amurer, puis à raidir leurs écoutes. En vérité, la manœuvre achevée, ces hardis garçons consentiraient-ils à redescendre sur le pont et ne préféreraient-ils pas rester dans la mâture ?

Sur la dunette, assis dans un confortable fauteuil d’osier doublé d’un moelleux coussin, le mentor paraissait fier de ses jeunes compagnons. Non point qu’il fut sans inquiétude à les voir se promener sur les vergues, gravir les enfléchures et qu’il négligeât de leur crier de bien se tenir. Enfin tout cela l’enchantait. Ah ! si son directeur, M. Julian Ardagh, eut été là près de lui, s’ils avaient pu échanger quelques propos, quels pompeux éloges ils eussent faits des pensionnaires d’Antilian School ! Et tout ce que M. Patterson aurait à raconter, à son retour, lorsqu’il remettrait le registre où figureraient les comptes de ce merveilleux voyage !

Et s’étonnera-t-on si, à un moment où Tony Renault et Magnus Anders atteignaient en haut des mâts, cette citation lui échappa en présence de John Carpenter :

« Sic itur ad astra

— Qu’est-ce que ça veut dire, monsieur ?… demanda le maître d’équipage.

— Ça veut dire qu’ils s’élèvent vers le ciel.

— Et qui a enfilé ces mots-là les uns au bout des autres ?…

— Le divin Virgile.

— J’ai connu un individu de ce nom, un nègre, qui était soutier à bord des transatlantiques…

— Ce n’était pas lui, mon ami…

— Eh bien, tant mieux pour votre Virgile, car le mien a été pendu. »

Au cours de cette journée, l’Alert croisa plusieurs de ces navires qui font le cabotage entre les Antilles, mais il ne s’en approcha pas. Ce que craignait alors Harry Markel, c’était d’étre encalminé pendant quelques jours, ce qui eût retardé d’autant son arrivée à la Martinique.

Cependant, si la brise indiqua une tendance à calmir, elle ne tomba pas tout à fait avec le soir. Quoique faible, elle parut devoir se maintenir toute la nuit. Venant du nord-est, elle serait favorable à l’Alert, qui n’amena point ses hautes voiles, bien que cela se fasse d’ordinaire entre le coucher et le lever du soleil.

Ce fut vainement, avant que l’obscurité eût rempli l’espace, que les passagers cherchèrent à apercevoir la cime du Mont Pelé, qui s’élève à treize cent cinquante-six mètres au-dessus du niveau de la mer. Aussi, vers neuf heures, regagnèrent-ils leurs cabines, dont les portes restèrent ouvertes à cause de la chaleur.

Jamais nuit ne leur avait paru plus tranquille, et, dès cinq heures du matin, tous étaient sur le pont.

Et alors Tony Renault de s’écrier, en montrant une hauteur vers le sud :

« Le Mont Pelé, le voilà !… C’est lui… je le reconnais !…

— Tu le reconnais ?… répliqua Roger Hinsdale, d’un ton qui marquait une certaine incrédulité…

— Sans doute !… Pourquoi aurait-il changé depuis cinq ans ?… Tenez… les trois pitons du Carbet !…

— Il faut avouer, Tony, que tu as de bons yeux…

— Excellents !… Je vous affirme que c’est le