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Au fait, voyons où j’en suis : partis le 16, nous voici au 22, soit sept jours de pris sur les quinze de ma permission. Il faudrait deux jours pour aller à Benoud en suivant l’oued ; un troisième pour revenir par l’est du Tismert ; deux autres à passer avec Slimane, en tout douze jours !… Eh bien, mais cela pourrait se faire.

Avec quelle anxiété je suivais ce compte de journées. Après tout, à quoi bon venir en ce pays, sinon pour y voyager ? — lorsqu’on n’est pas militaire, du moins.

« Sincèrement, vous y tenez, à ce petit supplément d’excursion, René ? »

En parlant ainsi, mon cher et bon mentor me regardait, souriant un peu malicieusement.

Si j’y tenais ?… Pouvait-il me le demander ?

« Va pour Renoud, alors. Mais comme nous rentrerons en une journée, comme, d’un autre côté, nous n’aurons pas besoin de nos bagages chez Slimane, nous laisserons Degmoun et Gourari revenir de cette nouvelle excursion plus doucement. Ils nous rejoindront sur la route de Géryville, près d’Aïn-Khorima, l’avant-veille du retour. »

Michel Antar.

(La suite prochainement.)

LE GÉANT DE L’AZUR
Par ANDRÉ LAURIE

VII

« Le Silure » .


L’Épiornis s’est abattu sur l’arrière du sous-marin, et une explosion formidable suit de près la catastrophe. En tombant, l’oiseau mécanique a cassé net l’hélice du navire anglais. Il y reste accroché, comme une chauve-souris, son aile gauche battant encore au milieu du désastre, tandis que les machines sautent, que les jurons et les ordres furieux se croisent avec les grincements de l’acier et les gémissements humains.

Ce vacarme infernal n’arrive même pas à l’ouïe des quatre Français, foudroyés par la commotion et restés sans connaissance.

Ils ne sentent pas les bras robustes qui les empoignent sous les épaules, les dégagent des débris, les transportent à l’avant dans la petite infirmerie du navire. Ce n’est qu’à la suite de vigoureuses frictions, accompagnées de cuillerées de brandy insinuées de vive force entre leurs mâchoires, qu’ils reviennent l’un après l’autre au sentiment de la réalité, parfaitement ahuris, mais sans dommage sérieux, ainsi qu’ils le constatent avec stupéfaction, en remuant d’instinct leurs bras et leurs jambes, dès l’instant de l’éveil.

« Rien de cassé, gentleman ! fait en anglais un fort gaillard à la tignasse rousse qui est en train d’étriller Henri, aidé dans cette fonction par un petit mousse de figure hindoue à qui il administre deci delà quelques taloches pour entretenir son zèle.

— Bien, bien, dit Henri, dans la même langue. Merci, mon garçon. Inutile de racler si fort !… Et inutile de frapper ce pauvre petit, qui travaille de son mieux !…

— Anglais ? dit l’autre enchanté. Aussi, je me disais : de pareils gaillards ne peuvent pas être Français. Tout le monde sait bien que les « mangeurs de grenouilles » sont rabougris et laids comme des chenilles.

— Chenille toi-même ! crie Le Guen en colère. Car il a appris dans ses nombreux voyages à baragouiner un peu d’anglais. Regarde dans ta glace, mangeur de pudding, si tu veux voir un vilain singe !… et, au surplus, débarrasse le plancher ! Je n’ai pas besoin de toi pour soigner mes jeunes maîtres.