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Héron qui méprisait les tanches ! — À la suite des premières pluies automnales, la rivière mène, à travers la vallée, un filet d’eau qui brille comme une mince coulée d’argent, entre les épais buissons de jujubiers sauvages[1].

De temps en temps, Slimane, debout sur les étriers, scrute l’horizon. Ses cavaliers l’imitent. Soudain il leur indique, de sa main tendue, un point lointain, invisible pour nous. Tous s’arrêtent et regardent attentivement.

« Des gazelles, demandai-je ?

— Ils n’en sont pas tout à fait sûrs ; les uns doutent encore. » Après un court moment, Slimane laisse tomber quelques paroles répétées successivement par tous ses hommes.

« Que dit-il ?

— Il y en a quatre.

— Quatre ? Mais où donc ? J’ai beau m’écarquiller les yeux ; je ne distingue absolument rien.

— Moi non plus. — Ils ont la vue si perçante ! — Attendez un peu. Il me semble que… mais oui, certainement ce doit être cette tache blanche là-bas, tenez, dans la direction exacte de mon bras. »

Est-ce une illusion ? Je ne sais ; mais je crois bien, moi aussi, apercevoir une tache blanche.

Déjà les rabatteurs se sont séparés, moitié à droite, moitié à gauche, nous laissant seuls tous les deux avec le caïd. Se rasant le plus possible, ils décrivent une courbe enveloppante très allongée.

Ah ! cette fois je les distingue bien, les gazelles ; du moins le point blanc, qui grossit très sensiblement… une, deux, trois, quatre ; elles sont quatre, et trottinent vers nous sans se presser. Se doutent-elles du danger ? on ne le dirait pas à les voir avancer si paisibles.

« Ne vous montrez pas tant, René ; elles vont vous éventer. »

Je rejoins M. Naimon et Slimane, immobiles tous deux, un peu en arrière, cachés dans un pli du terrain. Soudain un appel rauque — le signal convenu — nous fait bondir sur la crête devant nous. Les rabatteurs se sont rejoints derrière les gazelles ; ils les enveloppent d’un cercle de plus en plus rétréci, en les poussant sur nous. Attention ! C’est le moment décisif. Nous nous élançons ; en un clin d’œil nous sommes sur elles, et les rabatteurs aussi ; nous les tenons ; feu !

« Pan ! pan ! pan ! pan… »

Sans se presser, les jolies petites bêtes défilent au milieu de leurs ennemis, un peu ahuries tout au plus de tant de bruit.

« Pan ! pan ! pan ! pan… »

Nouvelle fusillade, succès égal. Mais cette fois elles semblent plus inquiètes. Et subitement elles se séparent ; se hâtant maintenant, elles détalent comme le vent. Nous les poursuivons, partagés en quatre groupes. Rien ne peut arrêter nos chevaux, nous filons rapides par-dessus les touffes d’alfa, les ravineaux, les rochers ; mais les gazelles filent plus vite encore…

Une demi-heure plus tard, nous nous retrouvons réunis au point de départ, bredouilles et l’oreille basse.

Allons, c’est à recommencer : En quête !

Bientôt deux autres gazelles sont en vue. Même tactique des rabatteurs, tandis que nous nous défilons dans un ravin. Cette fois nous attendons bien longtemps, ce nous semble. Surpris du retard, nous nous décidons à nous montrer. Voilà bien les cavaliers qui reviennent, mais de gazelles point. Que s’est-il donc passé ? Oh ! rien de plus simple ; une partie de cache-cache. Pendant que les chasseurs faisaient leur mouvement d’approche, en se dissimulant, le gibier s’est dissimulé lui aussi ; impossible de le retrouver.

Nous jouons de malheur. Hèlas ! Un succès pareil couronne les rencontres suivantes.

De guerre lasse, nous nous sommes assis

  1. Jujubier sauvage (Ziziphus lotus), — en arabe : sedra.