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— Qu’est-ce qu’il y a là-dessous ? interrogea Yucca.

— Un projet de mariage pour moi, vous vous en doutez. Brigitte n’en dort plus. Elle m’a découvert un ange… non, ce n’est pas assez… un archange ! Je vais passer trois mois à voyager avec ledit archange et sa famille, voir cette merveille tous les jours, étudier à loisir son caractère, sa passion pour les enfants : elle les adore ! elle les adore tous, paraît-il, et j’assisterai à des scènes ravissantes, chaque fois qu’il se rencontrera de petits paysans sur les routes, me prédit Brigitte. Elle est belle, elle est riche, elle est titrée, fort titrée. Elle a vingt-huit ans, à peu près mon âge, et un caractère idéal : voilà, mes chers amis. »

Hervé avait une singulière physionomie en débitant ce panégyrique. On eût dit qu’au travers de toutes les perfections énoncées, quelque chose manquait, dont l’absence lui causait un réel étonnement, presque une déception.

Toutefois, l’ironie de son sourire disparut lorsqu’il ajouta :

« Mon devoir est de m’assurer que Mlle  de Taugdal est telle que la dépeint ma sœur. Elles sont amies de pension ; Brigitte assure la bien connaître. Par-dessus tout, je veux une mère pour mes fils. Est-elle femme à les aimer tels quels ? ou seulement à les supporter patiemment ?… Ce serait déjà quelque chose, ils sont si terribles !

— Vous les calomniez, ces amours, Monsieur de Kosen, s’écria Thérèse. Terribles ! ils ne le sont pas tant que cela. Une chose m’inquiète, ajouta-t-elle. Cet archange est donc sans défauts ?

— Sans défauts, oui, madame, sans le plus petit défaut. »

Thérèse et son mari échangèrent un regard perplexe.

« J’aimerais mieux Mlle  de Taugdal moins parfaite, avoua Yucca.

— Moi aussi ! » s’écria Hervé vivement.

Il poursuivit, un peu moqueur :

« Brigitte, qui sait que vous êtes, somme toute, mes meilleurs amis, éprouve le besoin de vous gagner à sa cause. Vous la verrez paraître, un de ces matins, flanquée de la jeune personne dont elle désire que tu fasses le portrait, mon très cher : cela, dans le secret espoir que tu l’exposeras au prochain Salon.

— Ce me sera une occasion d’étudier Mlle  de Taugdal, je ne la laisserai pas échapper, tu peux le croire ! À propos de portraits, rapporte donc celui de Mlle  Claire. Je le vernirai, et il est si bien venu que je l’exposerai peut-être aussi.

— Je le rapporterai », promit Hervé.

Ils discutèrent ensuite avec Thérèse du choix des livres destinés aux deux recluses. La liste arrêtée par la jeune femme, de Kosen dit quels présents il avait achetés pour sa grand’mère.

« Je pensais emporter également un souvenir à Claire, mais… je n’ose plus.

— Offrez-le-lui de la part de Lilou et de Pompon ; c’est le sûr moyen de le voir bien accueilli : tenez, leurs photographies, dans un cadre artistique ; je suis certaine que cela lui fera grand plaisir.

— Tu devrais te munir aussi, à l’intention de ta cousine, d’une boîte à dessin. Elle a un coup de crayon passable ; tu lui donnerais quelques leçons ; ce serait pour elle une distraction précieuse en l’isolement où elle vit. »

À son tour, Thérèse conseilla :

« Organisez-lui donc un atelier quelque part, dans le haut, à proximité de sa chambre ; la maison est si vaste ! Elle irait y travailler durant les siestes de Mme  Andelot. Il faut encourager le bon vouloir dont elle fait preuve. Elle a plus de mérite que d’autres jeunes filles accoutumées de longue date à se plier aux circonstances.

— J’organiserai l’atelier sitôt là-bas. Je m’arrangerai pour qu’il soit chaud, j’y instal-