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JULES VERNE

affourcha l’Alert à une certaine distance du quai et interdit de descendre à terre. D’autre part, n’ayant point à renouveler ses provisions, sauf en farine et en viande fraîche, il prendrait ses mesures pour que cela se fit le plus prudemment possible.

John Howard, ayant conservé de Portsmouth un souvenir assez précis, pourrait servir de guide à ses camarades. Ceux-ci connaissaient son intention d’aller tout d’abord embrasser les vieux Grindah dans leur petite maisonnette. Aussi, dès qu’ils eurent débarqué, ils traversèrent la ville et se dirigèrent vers le faubourg dont les dernières habitations débordent sur la campagne.

La promenade ne fut pas longue. Après un quart d’heure, tous s’arrêtaient devant une modeste case, d’apparence propre, entourée d’un jardin planté d’arbres à fruits et terminé par une basse-cour où picoraient les volailles.

Le vieux travaillait dans ce jardin, la vieille était à l’intérieur, et elle sortait au moment où John Howard poussait la porte de l’enclos.

Quel cri de joie ne put retenir Kate, en reconnaissant l’enfant qu’elle n’avait pas vu depuis six ans !… Y en eût-il eu vingt, elle l’aurait reconnu tout de même, cet aîné de la famille !… Ce n’est pas avec les yeux que cela se fait, c’est avec le cœur !

« Toi… toi… John ! répétait-elle en pressant le jeune garçon dans ses bras.

— Oui… moi… bonne Kate… moi ! »

Et le vieux d’intervenir :

« Lui… John !… Tu te trompes !… Ce n’est pas lui, Kate…

— Si… c’est lui…

— Oui… c’est moi ! »

Et impossible de dire autre chose ! Puis, voici que les camarades de John Howard entourent les deux époux et les embrassent à leur tour.

« Oui… répétait Tony Renault… c’est bien nous… Est-ce que vous ne nous reconnaissez pas ?… »

Il fallut tout expliquer et dire pourquoi l’Alert était venu à la Dominique… uniquement pour la vieille négresse et son mari !… La preuve, c’est que la première visite avait été pour eux !… Et jusqu’à M. Horatio Patterson, qui, ne cachant point son émotion, serra cordialement les mains des deux vieillards ! …

Alors les admirations de Kate pour « son enfant » de reprendre de plus belle ! Comme il était grandi !… Comme il était changé !… Quel beau garçon !… Elle l’avait bien reconnu tout de même !… Et le vieux qui hésitait, lui !… Elle l’attirait dans ses bras… elle pleurait de joie et d’attendrissement.

Il y eut alors à donner des nouvelles de toute la famille Howard, le père, la mère, les frères, les sœurs !… Tout le monde allait bien… On parlait souvent là-bas de Kate et de son mari !… On ne les oubliait ni l’un ni l’autre… Aussi John Howard leur remit-il à chacun un joli cadeau apporté tout exprès. Enfin, pendant la relâche de l’Alert, John Howard ne laisserait passer ni une soirée ni une matinée sans venir embrasser ces bonnes gens. Puis, après avoir accepté un petit verre de tafia, du rhum de la Jamaïque, on se sépara.

Les quelques excursions que John Howard et ses camarades effectuèrent aux environs de Portsmouth les amenèrent au pied du mont Diablotin, dont ils firent l’ascension. Du sommet, la vue s’étendait sur l’île entière. Assez éreinté, lorsqu’il s’assit sur sa pointe, le mentor crut devoir emprunter cette citation aux Géorgiques de Virgile :

Velut stabuli custos in montibus olim considit scopulo

Ainsi que le fit remarquer ce loustic de Tony Renault, à part que M. Patterson ne se trouvait point sur une véritable montagne, qu’il n’était pas un berger, un custos stabuli, la citation pouvait être admise.

Du haut du Diablotin, les regards embras-