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« Heureusement, nous n’avons ni train, ni paquebot à attendre, ni passeport à demander ! s’écria Gérard. Partons ! partons sans perdre une minute !

— Pourvu que les renseignements soient exacts ! objecta Henri, soucieux. Pourvu que nous ne quittions pas ce pays en y laissant Nicole !… Mais comment obtenir une certitude ? … Je ne puis que me fier à ce qu’on me dit…

— Naturellement ! Mais puisque deux personnes, sans s’être concertées, t’ont affirmé la même chose, on peut croire qu’elles disent la vérité. Nicole, la chère courageuse fille, était évidemment connue dans le camp ; tous ont dû s’intéresser à son sort, vouloir connaître le lieu de sa captivité, grands et petits en sont instruits… Tu vois, il ne peut y avoir erreur.

— Crois-tu que les autorités anglaises refuseraient de nous donner à cet égard une réponse positive ? demanda Henri encore irrésolu. Un simple renseignement !… Il n’y a pas de raison pour le refuser.

— Oui. Compte là-dessus ! Deux balles dans la tête pour t’apprendre à t’occuper de ce qui ne te regarde pas !… Crois-moi, ne mêlons personne à cette affaire ; allons droit à Ceylan !… »

Les chevaux attendaient patiemment leurs cavaliers, broutant l’herbe, la bride sur le cou, à la mode boer, et les deux frères, enfourchant leurs montures, reprirent sans tarder le chemin de la tour phénicienne. Une demi-journée de galop presque ininterrompu les y ramena sans encombre, et ils trouvèrent M. Wéber et Le Guen tous deux agréablement occupés : l’un à ses calculs, l’autre à fourbir et faire reluire tout ce qui était susceptible d’être « astiqué » sur le navire aérien.

« Là !… dit-il avec satisfaction en saluant ses jeunes maîtres. Gnia pas à dire ! Une chose propre vaut deux sous de plus qu’une chose sale, que ce soit un bouton de cuivre ou une figure de chrétien. Pas vrai, m’sieur Gérard ?

— Pourvu que tu n’aies rien détraqué dans la mécanique, mon bon, je n’y contredis pas.

— Détraqué, moi ? Ah, mais non ! Les machines, ça me connaît… Quand j’étais moussaillon à bord de la Sémillante

— On t’y a inculqué la religion de l’Astique ! Nous savons cela, fit Gérard. Et tu as bien fait de te livrer à ton passe-temps favori, tandis que tu en avais le loisir, car nous repartons à l’instant même…

— Repartir ? fit le Le Guen interloqué. Et mamzelle Nicole ?

— Elle n’est plus ici. On l’a transportée à Ceylan et nous allons l’y chercher.

— C’est donc cela ?… Je n’osais point demander, mais, vrai, j’en ai eu froid dans le dos de vous voir revenir seuls !… Et comme ça, ils l’ont transférée à Ceylan ? C’est-y que ces espèces d’Angliches ont eu vent de notre arrivée ?

— Je ne crois pas, mon ami ; elle devait être déjà partie avant que nous quittions Paris.

— Enfin ! Va pour Ceylan. Pourvu qu’elle soit là quand nous arriverons, c’est l’essentiel, est-ce pas ?

— Pourvu qu’elle y soit, en effet, répéta Henri avec angoisse. Oh ! que ne donnerais-je pas pour avoir une certitude !…

— Nous ne pouvons mieux faire que d’y aller voir au plus vite, dit Gérard.

— C’est vrai !… Le sort en est jeté !… Partons ! … »


De nouveau, l’oiseau artificiel a repris son élan, pointant droit vers le sud. Selon l’itinéraire rationnel, c’est vers le nord-est qu’il devrait tourner sa proue, s’il veut cingler sur l’Indoustan. Mais je ne sais quelle obscure espérance fait souhaiter à Henri de ne pas quitter les champs du Transvaal sans qu’ils lui aient dit leur dernier mot, et Gérard, qui