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Aux murs du fond des cadres sont accrochés, protégeant de fantastiques enluminures, où des caractères tracés en langue arabe représentent les sceaux de tous les chefs de cette famille féodale, depuis Sidi-Cheikh jusqu’à Si Kaddour, antique trésor tout oriental, auprès duquel détonne une vulgaire suspension en quincaillerie moderne. Et c’est bien là le symbole de la race arabe, autrefois puissante et cultivée, aujourd’hui si déchue : l’ultime héritage, éclairé, mis en valeur par cette lampe sortie de la boutique d’un juif.

Par une ouverture qui troue le mur de droite, nous pénétrons enfin à l’entrée du sanctuaire. Quatre piliers carrés, en maçonnerie, sur lesquels s’appuie, en haut, la coupole, sont reliés, dans le bas, par une haute barrière en lattis, supportant des étoffes peintes, horrible camelote européenne.

Un très ordinaire sarcophage de bois en occupe le centre, un coffre plutôt, que recouvrent les pans d’un burnous noir, brodé d’or, — le burnous de Si Kaddour, — et qu’abritent les plis de l’étendard vert et rouge des Oulad Sidi-Cheikh.

Là repose le fondateur de l’ordre des Cheikhiia. À ses pieds, mais extérieurement à l’enceinte sacrée, le dernier de ses chefs, Si Kaddour, attend, dans une humble posture de chien couchant, que son fils, l’héritier actuel de la « baraca », vienne le relever de sa garde d’honneur. Sans doute alors seulement sera-t-il mis en possession de quelque Koubba élevée en son honneur, et destinée à lui servir de demeure définitive.

« Une belle figure, en somme, ce Si Kaddour, — commença M. Naimon, — et qui ne manque pas de grandeur. Bien qu’il fut notre ennemi, il a droit, de notre part, à une certaine admiration, car il a combattu pour une idée élevée, quelque arrière-pensée d’intérêt qui ait pu la diminuer, puisqu’il s’est attaqué à l’envahisseur.

D’une persévérance inlassable, d’une énergie rare, d’une activité infatigable, il devait cependant succomber : la lutte était trop inégale de lui à nous. Probablement le comprenait-il, ce qui ne l’empêcha pas de continuer quand même. Il ne se rendit qu’abandonné de tous, même des siens.

Sa soumission tardive et forcée inspira une certaine méfiance. On le soupçonna de s’être rallié plus en apparence qu’en réalité, de rester prêt à se soulever dès la première occasion. On le tint à l’écart. Peut-être nos craintes furent-elles précisément pour lui un motif de douter de la sincérité du pardon obtenu.

Pendant douze ans, il vécut retiré, soit dans ses campements de Hassi bou Zid, à l’entrée de l’Erg, soit à Benoud. Et voici que, dans ces dernières années, un revirement se fit. Il y avait eu malentendu ; on le vit bien lorsque Si Kaddour, prenant confiance, mit son influence à notre service. Il fit plus, il paya de sa personne. Bien que très souffrant déjà, il fut, au mois de décembre 1896, de la première des pointes que poussa dans l’extrême-Sud le commandant Godron. Revenu plus malade, il dut se coucher ; il mourut peu après (février 1897).

— Il était donc atteint d’une maladie incurable ? Et n’y avait-il pas possibilité de le sauver ? On dirait, à vous entendre parler, d’un de ces vieux et très fidèles serviteurs d’autrefois : lorsqu’ils avaient achevé le travail commandé, qu’ils savaient au-dessus de leurs forces, pourtant, ils revenaient à la maison du maître, juste pour s’étendre et mourir sans une plainte.

— On s’y prit trop tard pour le soigner. Oh ! c’était bien de leur faute, à eux tous ! Ces gens-là n’ont recours à nos médecins qu’à la dernière extrémité. On ne peut cependant leur imposer des soins contre leur gré.

Sitôt qu’ils en eurent manifesté le désir, un médecin militaire partit en hâte de Géryville pour Benoud, où se trouvait à ce moment la smala du chef indigène. Accueillie très froide-