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Et, regrimpant l’escalier, il franchit le volet pour retourner dans le parc.

Une demi-heure ne s’était pas écoulée que des cris assourdissants retentissaient, entrecoupés d’appels.

Alors en train de cueillir des fleurs au jardin, afin d’en orner la salle en l’honneur de la visite annoncée, Claire reconnut son nom, à travers les cris et les mots inarticulés.

Elle se mit à courir vers la maison, jeta en passant ses fleurs sur une banquette du vestibule, et, gravissant les degrés quatre à quatre, elle atteint le haut de l’escalier extérieur en moins de vingt secondes. Elle demanda :

« Qui m’appelle ? Qu’y a-t-il ?

— Faut viendre vite, vite, tante Claire ! Pompon à la « serlatine » ! Il va moure ! »

Elle descendit rapidement.

Lilou sanglotait. Sur son visage bouleversé par l’effroi, inondé par les larmes, son nez très peu mouché envoyait des traînées luisantes, que sa petite main inhabile étendait sur tout le visage en voulant les essuyer.

Claire n’y prit pas garde. Emprisonnant la menotte gluante dans la sienne, elle se mit à courir vers le château avec l’enfant. Et, tout en courant, elle interrogeait :

« Ton papa, où est-il ?

— Sais pas.

— Et tes bonnes ?

— Sais pas.

— Mais Pompon ? qui t’a dit qu’il avait la scarlatine ? Un médecin est donc venu ?

— Sais pas.

— Alors que sais-tu ?

— Quand on est malade, c’est la « serlatine », René me l’a dit. Pompon, il est malade.

— Où a-t-il mal ?

— Là-bas, dans le grand trou.

— Je te demande si c’est sa tête, son estomac, ou ses jambes qui lui font mal.

— Sais pas… C’est la « serlatine »… hi… hi… Je veux pas que mon frère y moure.

— On l’a mis au lit ?

— Dans le grand trou y a pas de lit ! »

Claire comprit que l’enfant devait être ailleurs qu’au château. Redoutant un accident, elle reprit :

« Il ne peut pas marcher ?

— Sais pas…

— Qu’appelles-tu le grand trou ?

— Tu sais bien… t’y es viendue. C’est là-bas, où on descend. »

Il indiquait le ravin surplombé par l’énorme bloc de rochers que Claire, à son retour à Arlempdes, pensait devoir s’être détaché sous l’effort des orages.

Elle pressa encore le pas, saisie d’une crainte plus grande.

Son émotion, elle ne s’en rendait pas compte ; son cœur était oppressé comme jamais elle ne l’avait senti oppressé ; mais avait-elle le temps de se demander quel sentiment l’étreignait si fort.

Elle courait, portant presque Lilou toujours sanglotant, et qui répétait sans trêve que son frère allait « moure ».

On atteignit enfin le sentier qui descendait, par des lacets faciles, au fond du « grand trou ». Et on découvrit Pompon, pantelant, affalé, les genoux ramassés contre son estomac, les veux fermés, le teint verdâtre… Il tenait un sac en papier entre ses bras… un sac vide…

« Pompon ! mon chéri ! » fit Claire. Elle le souleva. Il se laissa prendre et mettre debout sans opposer de résistance. Il avait un gros mal de cœur qui eut les suites ordinaires à ce genre de malaise, et, le changement de position aidant, rejeta le contenu du sac : des chocolats à la crème apportés par tante Brigitte, accaparés par le bonhomme et dévorés par lui en l’espace d’un quart d’heure… moins la part réservée à Lilou : quatre petits bonbons sur le demi-kilo !

Avant d’entamer sa provision, Pompon les avait alignés sur une pierre en saillie qu’ils appelaient « la table » dans leurs jeux.