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JULES VERNE

plus défendu par les hautes falaises de Saint-Martin contre les houles du large. Aussi, à l’ouvert entre les deux îles, reçut-il la lame par le travers, et il y eut même lieu de réduire la voilure afin de ne point trop donner la bande.

Cependant, si la traversée était retardée, elle ne le serait que de quelques heures, et assurément l’Alert paraîtrait le lendemain en vue de l’île Saint-Barthélemy dès le lever du jour.

Comme d’habitude, les passagers prenaient part à la manœuvre, lorsqu’il s’agissait de mollir ou de raidir les écoutes. Il n’y eut point lieu de courir des bords et de virer vent devant. Tony Renault et Magnus Anders tinrent la barre chacun à son tour, — deux véritables timoniers, bien à leur affaire, ne laissant point le navire embarder d’un côté ni de l’autre, l’œil fixé sur la ligne de foi de la boussole.

Vers cinq heures du soir, un steamer fut signalé dans le sud-ouest, courant de manière à dépasser l’Alert, dont il suivait la direction.

À ce moment, Corty se mit au gouvernail, l’intention d’Harry Markel étant bien d’éviter l’approche de ce steamer. L’Alert arriva donc d’un quart, afin de n’être pas coupé de sa route.

Ce steamer, de nationalité française, — on le reconnut à la flamme que le vent déroulait à son grand mât, — était un navire de guerre appartenant à la catégorie des petits croiseurs de l’État. Louis Clodion et Tony Renault eussent été heureux de le saluer au passage et de recevoir son salut. Mais, comme la plus courte distance qui sépara les deux bâtiments, grâce à la manœuvre d’Harry Markel, ne fut pas inférieure à un bon mille, il n’y eut pas lieu de hisser le pavillon.

En ce qui concerne ce croiseur, qui marchait à toute vitesse cap au nord-ouest, il semblait être à destination de l’une des Antilles. Il était possible, d’ailleurs, qu’il se rendit à l’un des ports méridionaux des États-Unis, — Key West, par exemple, à l’extrémité de la Floride, et qui est un point de relâche pour les bâtiments de toute nationalité.

Du reste, le croiseur eut bientôt laissé l’Alert en arrière, et, avant le coucher du soleil, ses dernières fumées avaient disparu à l’horizon.

« Bon voyage, dit John Carpenter, et au plaisir de ne jamais se revoir !… Je n’aime pas à naviguer de conserve avec des navires de guerre…

— Pas plus qu’à me trouver au milieu d’une escouade de constables !… ajouta Corty. Ces gens-là ont l’air de vous demander d’où vous venez, où vous allez, et il ne convient pas toujours de le dire ! »

L’île Saint-Barthélemy, — la seule que possède la Suède dans les Indes occidentales, — occupe l’extrémité du banc que forme l’île anglaise d’Anguilla et l’île franco-hollandaise de Saint-Martin. Ainsi qu’on l’a marqué, il suffirait d’un soulèvement de quatre-vingts pieds environ pour que les trois îles n’en fissent qu’une seule dont la longueur totale serait de soixante-quinze kilomètres. Or, dans ces fonds sous-marins de nature plutonienne, il ne serait pas surprenant que ce soulèvement se produisît dans l’avenir.

Et, à ce propos même, Roger Hinsdale fit observer que cet exhaussement pourrait s’étendre à l’ensemble des Antilles, aussi bien les îles du Vent que les îles sous le Vent. Voit-on, à une époque, très reculée sans doute, ces îles réunies les unes aux autres, et formant une sorte de vaste continent à l’entrée du golfe du Mexique, et, qui sait ! se rattachant aux terres américaines ?… Dans quelles conditions se trouverait-il, alors que l’Angleterre, la France, la Hollande, le Danemark prétendraient y maintenir leur pavillon national ?…

Très probablement, le principe de la doctrine de Monroë interviendrait pour mettre