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riez rendre à ces gens des services incalculables. Si j’étais à votre place, je n’hésiterais pas, je vous assure…

— C’est une idée ! » s’écria le capitaine, qui brillait plus par le courage que par l’imagination.

Et, l’idée ayant fait du chemin, il avait fini par la mettre à exécution, par s’en aller au Transvaal, frapper un bon coup pour une cause juste et belle. Pendant plusieurs mois, on n’entendit plus parler de lui ; puis, un beau matin, on le vit reparaître enchanté de sa campagne, — bien qu’il y eût laissé le bras droit ; — plein de récits enthousiastes sur la tactique des patriotes boers, leur endurance, leur intrépidité. Cependant, au milieu de ce flot de paroles, les Massey n’avaient pas tardé à démêler sur la physionomie transparente du capitaine une impatience ou une préoccupation qu’il cherchait vainement à dissimuler.

« Henri ! s’écria-t-il, trouvant soudain la transition cherchée, faites-moi donc faire un peu le tour du propriétaire ! Vos marronniers doivent être superbes à cette heure… J’ai hâte de les revoir !…

— À vos ordres ! » dit le jeune homme assez ému, tandis que les autres s’entre-regardaient, inquiets.

Quittant la verandah où l’on achevait de déjeuner, les deux hommes descendirent la vaste pelouse, admirèrent les corbeilles de roses, chefs-d’œuvre des talents combinés de Le Guen, de Colette et de Lina, et, ayant pris la gauche, s’engagèrent sous l’allée de marronniers qui longeait le jardin du côté de la Seine.


« J’ai un message pour vous, mon cher ami, fit brusquement le brave officier, aussitôt qu’ils se trouvèrent hors de vue ; et je ne vous cache pas que ce message est pénible… J’ai cru que vous préféreriez le recevoir seul… Le contre-coup de nos peines réfléchi sur les visages consternés de ceux qui nous aiment, en augmente encore la rigueur — telle est du moins ma façon de sentir, et j’ai agi à votre égard comme je voudrais qu’on fit pour moi.

— Capitaine ! s’écria Henri pâlissant. Que dois-je comprendre ?… De grâce, épargnez-moi les préambules ! Oui, oui… merci pour le procédé… Mais parlez ! parlez vite ! Si vous m’apportez une nouvelle fatale, dites-la : je suis prêt ! L’incertitude est pire que tout le reste… J’ai entendu, allez, sans que vous parliez… Nicole… Mlle Mauvilain ?… » Et comme l’autre esquissait un vague signe d’assentiment attristé :

« Morte ! articula le jeune homme d’une voix étouffée. Et, pâlissant encore, il dut s’appuyer, pour ne point tomber, au troue noueux d’un arbre près duquel ils s’étaient arrêtés.

— Non ! non ! non ! Un million de fois non ! criait le capitaine éperdu, désolé. Henri, revenez à vous !… Moi qui croyais bien faire en l’avertissant par degrés ! Triple bête ! Henri ! Entendez-moi !… Rien n’est perdu ! Elle est vivante ! bien vivante ! Plus active et plus bienfaisante, je vous jure, que beaucoup de gens qui ne sont pas dans sa triste condition.

— Vivante ! répéta Henri d’une voix de rêve. Que vouliez-vous dire alors ?

— Elle est, hélas ! prisonnière de guerre. Je craignais de mettre en paroles un fait si cruel ; mais, après ce que je vous ai donné à croire comme un fieffé crétin !… Non, je ne suis pas fait pour la diplomatie !

— Prisonnière ! répéta le jeune homme avec douleur. Prisonnière, ma pauvre Nicole ! Et sans doute endurant les plus affreuses privations ! Je sais, ajouta-t-il avec rage, comment un adversaire brutal traite les nobles combattants qui tombent en ses mains ! Comment il se venge sur des femmes, sur des enfants, de l’insulte permanente qu’inflige à son orgueil la résistance incomparable de cette poignée de héros !… Mais, dites, êtes-vous bien sûr qu’elle soit prisonnière ? reprit Henri, trouvant soudain de l’espoir. Peut-être