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vais le relancer… Vous permettez, maman ?…

— Oui, mon enfant. Tout sera froid.

— Pas de danger, madame, j’ai tenu le plat sur le réchaud.

— Et j’aurai tôt fait de lui battre une omelette », s’écria Martine en disparaissant vivement vers les régions culinaires.

Gérard revint, tenant par le bras son frère aîné.

« Voici le délinquant !… Il avait complètement oublié qu’il existât au monde des choses aussi peu importantes qu’un déjeuner ou une famille affamée.

— Pardonnez-moi, chère maman, dit Henri en baisant la main de Mme Massey avant de s’asseoir. Mais j’ai une excuse à vous présenter : l’extraordinaire intérêt de ce qui m’occupait… Ni plus ni moins que le grand problème résolu et la navigation aérienne assurée désormais ! »

Henri prononça ces mots avec un calme que démentaient l’éclair de son œil gris et l’imperceptible frémissement de ses lèvres.

Ce fut aussitôt autour de la table un joyeux concert d’exclamations et de questions. « La navigation aérienne ?… où ?… quand ?… comment ? … Dis-nous bien vite l’énorme nouvelle. »

En deux mots, le jeune ingénieur expliqua tout. Sa famille connaissait depuis la veille le moteur léger… Eh bien, l’application de cet incomparable agent de force mécanique était toute trouvée, grâce à l’excellent Wéber, qui était là, ne soufflant pas mot et riant dans sa barbe… Le digne homme avait, depuis des années, en ses cartons, les plans, étudiés jusqu’au moindre détail, d’un admirable oiseau artificiel, auquel rien ne manquait, sinon la vie… Cette vie, l’irkon allait la lui donner !… Henri en était sûr, les épures et calculs de l’ami Wéber ne lui laissaient pas l’ombre d’un doute… Non seulement l’oiseau artificiel pouvait désormais être considéré comme un fait, théoriquement acquis, — mais l’exécution allait être d’une facilité surprenante et dont il restait lui-même abasourdi. Le temps d’élever sur la terrasse du jardin un hangar clos et une petite forge, où les pièces commandées séparément à deux ou trois spécialistes émérites viendraient s’assembler ; le temps de mettre au point les organes élémentaires, sur mesures prévues par l’auteur de la machine, puis de l’actionner grâce à la bobine qui était là, immobile et inerte, sur la tablette du poêle… Que fallait-il ? un mois, six semaines au plus, — et le grand oiseau serait accompli ! … L’aviation devenue une réalité… Trois passagers au moins, peut-être quatre, pourraient prendre leur vol au-dessus de Paris d’abord, puis au-dessus du globe…

« Bravo !… Hourra !… cria Gérard. J’en suis, n’est-ce pas, des quatre ou des trois ?… Tu ne voudrais pas me refuser un fauteuil ?

— Ni à toi, ni à notre cher Wéber, ni au Dr Lhomond, si le cœur leur en dit. Vous êtes les collaborateurs prédestinés et choisis d’avance de notre œuvre maîtresse, répliqua Henri. Je vous demanderai seulement la permission d’essayer d’abord seul ma monture et de ne vous laisser mettre le pied à l’étrier qu’après une expérience décisive…

— Pardon, mon cher ami, je revendique mon droit, dit vivement M. Wéber. L’oiseau artificiel est bien quelque peu l’enfant de mes veilles, si le moteur est le vôtre ; à vous la fonction de capitaine ; à moi celle de pilote, pour la première épreuve comme pour celles qui suivront… »

Mme Massey écoutait ce débat avec une anxiété qui se révélait sur son doux visage par une pâleur croissante. Elle intervint tout à coup :

« Henri, mon enfant, fit-elle d’une voix dont elle s’efforçait en vain de réprimer l’angoisse, une seule question… Certes, je suis heureuse et fière au delà de toute expression que tu aies résolu un problème aussi ardu… Mais enfin, voyons, cet oiseau artificiel, cet aviateur, si tu le construis, ce sera pour…

— Pour voyager à travers les airs, chère