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— … Et, pour en avoir le cœur net, j’ai fait étirer les quelques grammes de ce métal que j’avais pu extraire ; je les ai isolés et enroulés en bobine. Mais je n’aurais jamais songé à la mise en activité spontanée de cette bobine sous l’influence d’un faible mouvement oscillatoire, — si le hasard, je le répète, l’aveugle hasard, ne m’avait pas conduit à déposer la bobine et son aimant sur la cheminée de ma chambre, juste à côté de la montre que j’y avais oubliée, et si le résultat aussi inattendu qu’immédiat de ce voisinage n’avait pas été un feu d’artifice d’étincelles suffisant pour foudroyer un bœuf.

— Évidemment. Pour que Galilée remarquât l’isochronisme du pendule, il a fallu qu’il fut assis dans une église, les yeux fixés sur le balancement d’un lustre. Pour que Newton formulât la loi de la gravitation, il était indispensable qu’il vît tomber une pomme. C’est toujours une coïncidence fortuite qui détermine les observations les plus fécondes. Encore faut-il être en mesure de noter la coïncidence et d’en dégager la philosophie…

— Admettons, mon cher Wéber, que j’étais l’homme du destin, comme l’irkon est le métal de l’avenir. Reste cette question : que faire de mon jouet ? Je veux dire : à quoi l’appliquer d’abord ?

— Vous demandez à quoi appliquer le moteur idéal qui pèse deux kilogrammes à peine et qui emprunte sa force de cent chevaux au réservoir commun de l’univers, sous la provocation la plus futile, celle d’un ressort de montre pareil à un cheveu ?… À coup sûr, vous n’avez que l’embarras du choix !…

— En effet, j’ai cet embarras. Je l’ai positivement. Et c’est pourquoi je vous consulte.

— Eh bien, mon cher Henri, je vais vous répondre avec une entière franchise. Votre moteur est propre à tout ; il peut tout ; il répond à tout, — puisqu’il emprunte au cosmos la force mécanique universelle, absolue et gratuite. Demain, il fera marcher les usines, les trains de marchandises, les voitures et les navires ; il fouillera le sol et fera germer les blés ; il transportera les montagnes, il percera les isthmes… Pour le présent, si vous m’en croyez, il commencera par nous donner la conquête de l’air.

— C’est votre première idée ?…C’est aussi la mienne. Un aérostat dirigeable…

— Un ballon ?… Jamais de la vie ! Pourquoi nous embarrasser d’une vessie indocile et encombrante, qui flottera toujours à l’aventure, comme un bouchon sur la vague ? Il y a mieux sous le soleil, puisque l’oiseau vole, et l’insecte aussi !… Il nous faut la machine volante, l’aviateur pur et simple, l’aéroplane plus lourd que l’air et qui ne sollicitera pas humblement la permission de l’atmosphère pour s’élever et se soutenir au-dessus du sol, mais la traitera en maître, par la raison qu’il puisera dans son activité propre ses moyens d’équilibre, de mouvement et de victoire…

— Vous avez étudié le problème ?

— Mieux qu’étudié, — résolu. J’ai dans mes cartons tous les plans de l’oiseau artificiel, de l’oiseau d’acier qui s’enlèvera d’un bond élastique et sûr, déploiera ses ailes, planera dans l’espace, ira droit au but et reprendra terre à volonté… Un seul organe manquait : le cerveau. Entendez le moteur assez puissant, assez léger, pour suppléer à la force nerveuse et animer mon oiseau mécanique. Je l’ai cherché six ans, sans aboutir. Vous l’avez trouvé : prêtez-le-moi !

— De grand cœur, mon cher Wéber. Mais avez-vous vraiment poussé si loin votre étude, et la croyez-vous pratique ?

— De tout point. Je n’ai fait d’ailleurs que suivre servilement la nature. Guidé, je dois le proclamer, par les admirables travaux du professeur Marey, je me suis attaché à réaliser artificiellement les conditions essentielles du vol de l’oiseau. J’ai imité l’aile, dans ses moindres détails d’articulation, de constitution et de forme, en substituant le fer creux et la