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chanteurs. Sous les épaisses frondaisons où l’œil a peine à pénétrer, dans l’ombre discrète des rameaux, les chères couchettes sont à l’abri des rapaces et des petits carnassiers. Là encore, nous rencontrerons de merveilleux chefs-d’œuvre d’amour maternel. Voici d’abord le nid du troglodyte, fabuleux amas de feuilles de chêne reliées par des brindilles de bouleau, dont l’imposante masse représente quarante ou cinquante fois le volume de son constructeur. Véritable boudoir de petite maîtresse, l’intérieur se capitonne de plumes et de laine que le troglodyte va glaner le long des chemins. Une fenêtre est ménagée sur le côté, par laquelle les jeunes, dans la quiétude du jour, montrent leurs délicates frimousses qu’éclairent une paire de grands yeux étonnés.

Plus loin, sur ces pommiers en fleur, voici deux charmantes corbeilles qui, quoique d’aspect un peu différent, sont l’une et l’autre de même style. Chardonnerets et pinsons font bon ménage et souvent le même arbre les abrite. C’est une merveille de confort et de grâce que la maison du pinson, tissée d’un fin coton arraché aux graines du peuplier, qu’une épaisse couche de plumes et de crin garnit à l’intérieur. L’extérieur, tout givré de mousse et de lichen, se confond avec le ton de l’arbre auquel il s’accote. Rien n’égale la mollesse et la tiède chaleur qui règnent à l’abri de ce chaud manchon.

Quand les jeunes s’endorment, leur bec ourlé de jaune faisant saillie parmi les plumes qui commencent à poindre, il semble qu’ils aient conscience du bien-être dont les parents les entourent !

Mais nous voici au bord de l’eau. Là aussi, le concert bat son plein parmi les joncs fleuris et les saules éplorés bordant le ruisseau tour à tour calme ou tumultueux. Le même alléluia d’amour monte parmi les âcres parfums des « reines des prés » et des glaïeuls mouvants. Sur de flexibles sommités de roseaux, balancé au moindre souille, se cramponne le nid de la fauvette effarvatte. Quel fragile édifice ! Et quelle audace il faut à l’oiseau pour bâtir au-dessus de l’abîme ! Une rafale, un brusque mouvement des oisillons, et voilà l’équilibre détruit, la couvée précipitée dans l’eau, un désastre complet en perspective !…

Eh bien, non, l’architecte a le coup d’œil si sur, la couche est si profonde et si stable, que ni la colère de l’aquilon, ni les évolutions des jeunes ne viendront compromettre leur sécurité. Leur seul ennemi, celui qui ne désarme jamais, c’est l’enfant cruel et désœuvré qui brise distraitement ces précieuses existences lorsque l’instinct de l’effarvatte n’a pas mis entre sa convoitise et le nid une suffisante barrière.

En continuant notre promenade, nous aurions cent occasions de nous extasier devant les œuvres de nos oiseaux chanteurs. Dans nos jardins, à l’abri de nos toits aussi bien qu’au plus profond du bois, il y aurait sujet à études et à émerveillement. Que dire des nids de l’hirondelle familière que chaque printemps ramène aux lieux qui l’ont abritée la saison passée ? Et celui de ce maître chanteur qui s’appelle le rossignol, n’est-il pas admirable d’élégance simple, tout feutré de feuilles mortes et de fibres de chiendent ? Et celui du beau merle noir, et ceux des diverses fauvettes, constructions aériennes et ajourées qu’un souffle semble devoir anéantir, et qui trouvent cependant la résistance nécessaire à l’élève d’une nombreuse couvée ! Il les faudrait tous citer, mais bornons-nous à signaler aux amants de la nature les nids qui viennent d’être passés en revue ici, souhaitant que, devant tant d’ingéniosité, tant de rudes labeurs, l’enfant fasse grâce à ces mignons et laisse croître en paix nos meilleurs auxiliaires contre l’invasion redoutable des insectes nuisibles.

André Philipon.