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BOURSES DE VOYAGE

Pendant cette relâche, si les passagers de l’Alert ne furent donc les hôtes de personne, d’anciens amis de la famille Wickborn leur firent bon accueil. Ils passèrent la plus grande partie du temps à terre, et, chaque soir, ils revenaient coucher à bord.

Cette île, qu’ils parcoururent en voiture, est fort intéressante à visiter. Tant que dura la période de l’esclavage, les planteurs y firent de grandes fortunes, et Sainte-Croix put être considérée comme la plus riche des Antilles. Une culture progressive utilisa son sol jusqu’au sommet des collines. Elle possède trois cent cinquante plantations de cent cinquante arpents chacune, administrées avec un ordre parfait et pourvues d’un personnel très exercé. Les deux tiers du territoire sont consacrés à la production du sucre, et, année moyenne, on récolte par arpent seize quintaux, sans compter les mélasses.

Après le sucre, le coton donne annuellement huit cents balles expédiées en Europe. Les touristes suivirent de belles routes, plantées de palmiers, qui mettaient chaque village en communication avec la capitale. Le terrain, incliné en pentes douces vers le nord, se relevait graduellement en s’étendant vers le littoral du nord-ouest jusqu’au mont Eagle, dont l’altitude cote quatre cents mètres.

Il faut l’avouer, à voir cette île si belle, si fertile, Louis Clodion et Tony Renault ne purent qu’éprouver un vif regret : c’était que la France ne l’eût point conservée dans son riche domaine des Antilles. En revanche, Niels Harboe et Axel Wickborn trouvèrent que le Danemark avait fait là une très heureuse acquisition, et ils ne formaient qu’un vœu : c’était que Sainte-Croix, après avoir appartenu aux Anglais, aux Français, aux Espagnols, fût définitivement acquise à leur pays.

Du reste, par sa situation en Europe, le Danemark, sauf pendant le blocus continental, où Copenhague fut bombardé par la flotte anglaise, eut la bonne fortune de n’être pas ensuite mêlé aux longues et sanglantes luttes du commencement du siècle entre la France et l’Angleterre. Puissance secondaire, son territoire ne souffrit point de l’invasion des armées européennes. Le résultat de cet état de choses fut que les colonies danoises de l’Antilie n’éprouvèrent pas de ces formidables guerres le contre-coup qui se fit sentir au delà de l’océan Atlantique. Elles purent travailler en paix et s’assurer un avenir prospère.

Cependant l’émancipation des noirs, proclamée en 1802, provoqua tout d’abord certains troubles, que l’autorité coloniale dut réprimer avec vigueur. Les libérés, les affranchis, eurent à se plaindre en ce sens que les promesses qui leur avaient été faites ne furent pas tenues, — entre autres, l’attribution d’une certaine quantité de terres en toute propriété. De là vinrent des réclamations qui ne produisirent aucun résultat, et enfin un soulèvement des nègres qui alluma l’incendie sur plusieurs points de l’île.

Lorsque l’Alert visita le port de Christianstoed, les rapports entre colons et libérés n’étaient pas définitivement réglés. Toutefois l’île jouissait d’une complète tranquillité et les touristes ne furent jamais gênés dans leurs excursions. Un an plus tard, il est vrai, ils fussent tombés en pleine émeute, et si grave, que la ville natale d’Axel Wickborn fut brûlée par les nègres.

Il convient de remarquer, d’ailleurs, que, depuis sept ou huit ans déjà, la population de Sainte-Croix avait diminué par suite d’une émigration continue qui l’a réduite d’un cinquième.

Pendant la relâche de l’Alert, le gouverneur danois, qui réside alternativement six mois à Saint-Thomas et six mois à Sainte-Croix, se trouvait à Saint-Jean, où l’on craignait des troubles. Il ne put donc faire aux jeunes Antilians l’accueil qui les attendait dans toutes les Antilles. Mais il avait recommandé que toutes facilités leur fussent assurées pour l’explora-