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BOURSES DE VOYAGE

de la ville. Après qu’on eut filé sept à huit brasses de chaîne, le trois-mâts resta sur une profondeur de quatre à cinq mètres.

Reclus a observé que la position de Saint-Thomas est excellente entre toutes, puisque l’île occupe un point favorable sur la grande courbe des Antilles, à l’endroit même où « la distribution doit se faire le plus facilement vers toutes les parties de l’archipel ».

Aussi comprendra-t-on que, dès le début, ce port naturel ait attiré l’attention et obtenu la préférence des flibustiers. Il devint donc le principal entrepôt du trafic de contrebande avec les colonies espagnoles, et bientôt le plus important marché « du bois d’ébène », c’est-à-dire des nègres achetés sur le littoral africain et importés aux Indes occidentales. C’est pourquoi il passa vite sous la domination danoise et n’en fut jamais distrait, après sa cession par une Compagnie financière qui l’avait acquis de l’électeur de Brandebourg, dont l’héritier fut précisément le roi de Danemark.

Dès que l’Alert eut pris son mouillage, Christian Harboe se fit conduire à bord, et les deux frères tombèrent dans les bras l’un de l’autre. Puis, ayant échangé de cordiales poignées de main avec M. Horatio Patterson et ses compagnons de voyage, le négociant dit :

« Mes amis, je compte que vous serez mes hôtes pendant votre séjour à Saint-Thomas… Combien doit durer la relâche de l’Alert ?…

— Trois jours, répondit Niels Harboe.

— Seulement ?…

— Pas davantage, Christian, et à mon grand regret, car il y a si longtemps que nous ne nous sommes embrassés…

— Monsieur Harboe, dit alors le Mentor, nous acceptons avec empressement vos obligeantes propositions… Nous serons vos hôtes pendant notre séjour à Saint-Thomas… qui ne peut se prolonger…

— En effet, monsieur Patterson, un itinéraire vous est imposé.

— Oui… par Mrs Kethlen Seymour.

— Est-ce que vous connaissez cette dame, monsieur Harboe ?… demanda Louis Clodion.

— Non, répondit le négociant ; mais j’ai souvent entendu parler d’elle, et aux Antilles on vante son inépuisable charité. »

Et, se tournant vers Harry Markel :

« Quant à vous, capitaine Paxton, vous me permettrez de vous adresser, au nom de toutes les familles de ces jeunes passagers, de sincères remerciements pour les soins…

— Remerciements légitimement dus au capitaine Paxton, se hâta d’ajouter M. Patterson. Quoique la mer nous ait éprouvés, moi plus que personne, horresco referens ! il faut reconnaître que notre brave capitaine a fait tout ce qui dépendait de lui pour nous rendre la traversée aussi douce qu’agréable… »

Il n’était pas dans la nature d’Harry Markel de se dépenser en compliments et politesses. Peut-être même, M. Christian Harboe, dont le regard s’attachait à lui, le gênait-il. Aussi, faisant une légère inclinaison de tête, il se contenta de répondre :

« Je ne vois aucun empêchement à ce que les passagers de l’Alert acceptent l’hospitalité que vous leur offrez, monsieur, à la condition toutefois de ne point prolonger la relâche au delà du délai fixé…

— C’est entendu, capitaine Paxton, reprit M. Christian Harboe. Et maintenant, dès aujourd’hui, si vous voulez bien venir dîner à la maison avec mes hôtes…

— Je vous remercie, monsieur, dit Harry Markel. J’ai quelques réparations à exécuter, et je ne puis perdre même une heure. D’ailleurs, je préfère ne quitter mon bord que le moins possible. »

M. Christian Harboe parut surpris du ton froid de cette réponse. Assurément, parmi les gens de mer, et très souvent chez les capitaines de la marine marchande anglaise, se rencontrent des natures rudes, des hommes peu éduqués, dont les manières ne se sont