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Sans s’en douter, il ne pouvait rien déclarer de meilleur à ce garde national pour être autorisé à passer. Nantes regorgeait de fugitifs des deux partis, de mendiants bretons, d’enfants abandonnés parce que leurs père et mûre avaient disparu dans les troubles. Cette foule d’affamés allait grossissant de jour en jour, et on commençait à prendre des mesures pour arrêter cet accroissement inquiétant.

Ayant franchi la porte de la ville, Yvon se logea dans un hôtel, puis s’enquit du nom du gouverneur militaire de la place. Ce ne fut pas facile d’arriver jusqu’à lui. Quand il obtint d’être reçu, ce fut parce qu’il avait écrit à la femme du général une lettre touchante et simple dans laquelle il expliquait qu’ils étaient deux enfants abandonnés, par suite de l’arrestation de leurs parents, il la suppliait de lui faire donner au moins des renseignements sur ce qu’était devenue sa famille.

On introduisit, un matin, Manette et Yvon dans une belle pièce luxueusement meublée, encombrée de paravents et de meubles comme Yvon n’en avait jamais vu. Ce qui le frappa le plus et d’abord, en ce milieu, ce fut un grand militaire en superbe uniforme avec un haut col brodé d’or. Il se tenait debout dans le fond de la pièce, et fixait un regard froid et sévère sur les enfants. Yvon se rappelait l’air dur ou même cruel des contrebandiers, de leur chef ; la sévérité des traits de ce général était tout autre chose, quelque chose qui lui sembla plus implacable encore, celle d’un homme que rien ne devait faire fléchir quand il s’agissait de son devoir.

Yvon s’imagina tout de suite que c’était ce chef-là qui avait fait arrêter tous les siens, et il en resta muet un instant, craignant de trop dire. C’est à peine s’il s’était aperçu de la présence d’une dame, assise sur un canapé bas, et qui, elle, avait un visage exprimant la bonté.

Manette, nullement intimidée dès qu’elle était entrée tenant la main de son « Grand Yvon », avait tout de suite regardé la dame qui était belle et bien habillée. Très stylée à ce point de vue par sa maman, elle fit une révérence parfaite en se reculant avec une gaucherie pleine de grâce, et elle restait ensuite à contempler la dame dans les yeux, la bouche naïvement ouverte.

« Qu’est-ce que vous voulez, mes enfants ? demanda celle-ci d’une voix douce.

— Nous demandons ce qu’on a fait de nos parents, prononça Yvon, qui s’enhardissait. On m’a dit que des soldats étaient venus les prendre pour les amener ici. Ils n’ont rien commis de mal.

— Où étiez-vous ?

— Moi, j’avais été pris par des brigands qui m’avaient emmené sur mer, c’est quand je suis revenu…

— Sur mer ? » interrompit la dame étonnée.

Ce pouvaient être des soldats ou des partisans vendéens que l’enfant appelait des brigands, mais qu’il eût été emmené sur mer, cela paraissait plus étonnant.

« Oui, dit Yvon, voyant que la dame s’intéressait ; je viens de passer deux ans prisonnier, à bord d’un vaisseau de contrebandiers.

— Vraiment ! »

La dame se retourna vers le grand officier, qui demeura impassible.

« Racontez-nous cela, mon enfant. »

Yves, avec l’accent de la vérité, narra de son mieux sa vie pendant ces deux dernières années et donna beaucoup de détails que, certainement, il ne pouvait avoir inventés.

Sa figure hâlée et ses mains calleuses, contrastant avec le joli costume neuf qu’il avait acheté à Nantes, ne démentaient pas sa narration.

La dame l’écoutait, lui posait des questions, évidemment captivée par le récit des passes terribles que cet enfant si jeune avait traversées. Elle eut plusieurs exclamations. Quand Yvon en fut arrivé à son retour au château,