Page:Hetzel - Verne - Magasin d’Éducation et de Récréation, 1903, tomes 17 et 18.djvu/321

Le texte de cette page a été corrigé et est conforme au fac-similé.

DISPARUS
Par JACQUES LERMONT

VIII (Suite.)
Événements graves.

Yvon (lui aussi, possédait l’accumulation de sa paye de mousse, et il n’avait jamais eu autant d’argent) prit une charrette à louage, et, dans l’après-midi, il arrivait au château de Penhoël. Là, rien n’était changé, le lierre tapissait toujours les vieilles murailles et les tourelles. Yvon se précipita par la porte grande ouverte dans la vaste cour au pavage herbu ; il monta d’un trait l’escalier à rampe de fer forgé et pénétra dans la salle où il était sûr de trouver le baron. Il n’avait rencontré personne. La pièce était vide et les volets en étaient fermés !

« Est-ce que la mort avait passé par là ? »

Ce fut la première idée qui jaillit dans le cerveau du pauvre enfant soudain frappé au cœur !

« Mais de qui, la mort ? Ils ne pouvaient être tous morts. Et, d’ailleurs, pourquoi la porte du château était-elle grande ouverte ?

« Pourquoi toutes les portes étaient-elles ouvertes ?

« Ah ! Grande Manon, mon Dieu, n’est-elle point là ? »

Yvon court à la chambre de sa sœur. C’est là qu’il a dormi, tout enfant, c’est là qu’il a été élevé. Son cœur bat si fort qu’avant de tourner le pêne de la porte, il s’arrête. Il ouvre lentement et aperçoit…

Petite Manette.

Assise sur le tapis, plus grande, mais très reconnaissable et fort occupée d’une poupée qui n’était pas une poupée perroquet en soie verte et jaune, Manette, qui le reconnut tout de suite, battit des mains sans se lever et laissa tomber sa poupée pour lui tendre les bras en criant :

« Grand Yvon ! Grand Yvon ! »

Jeannie parut sur le seuil et demeura pétrifiée :

« Monsieur Yvonnaïk ! »

Et elle éclata en pleurs.

« Père ! grand-père ! où sont-ils ? Et Grande Manon ?… »

Jeannie pleurait plus fort. Elle se laissa tomber sur une chaise.

Yvon pâlit.

« Ils sont… ?

— Ils sont allés se promener. Y a bien longtemps qu’ils sont partis et moi je m’ennuie, Grand Yvon, je m’ennuie tant.

— Où sont-ils ? » murmura Yvon secouant le bras de Jeannie affaissée.

Jeannie l’entraîna hors de la portée de la petite fille.

« Ils sont en prison, monsieur Yvonnaïk.

— En prison ? s’exclama le malheureux enfant au comble de la stupéfaction.

— Tous en prison, Jésus, mon Dieu ! Les habits bleus de Paris qui ont mis aussi le Roi en prison sont venus, et ils ont pris M. le baron et Mlle Manon dans une charrette, et aussi la marquise, la mère de Mlle Manette !… Il n’y a que cette innocente-là qu’ils n’ont pas emmenée, comme si les autres n’étaient pas tout aussi innocents qu’elle. Et M. le chevalier y était déjà, en prison, dans leur Paris de malheur, où il n’y a que des assassins !

— Mais… ils ne sont pas morts, alors ? interrogea, bien inutilement, Yves, que le coup reçu privait presque de son intelligence.

— Pour Dieu Jésus Seigneur, j’espère bien que non ! fit Jeannie en joignant les mains. Y’a de mort le vieux Charlik, qui s’en est allé il n’y a pas une semaine. Il n’avait pas pu prendre son parti de voir M. le baron arrêté. Cela