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Mecque, c’est pourquoi son nom arabe, le seul que je connaisse, commence par le titre de El Hadj, le Pèlerin. Il est deux fois bey, et pour la Turquie, et pour… ma foi, je ne sais plus bien pour quel pays, l’Égypte, peut-être. Il m’a montré même ses brevets, que, bien entendu, j’ai admirés sans pouvoir les lire. Et ce que je vous dis de lui, beaucoup d’autres que moi l’ont su, car il parlait à très haute voix, au salon des « Premières », sur le paquebot qui m’amena en Oranie.

— Mon cher ami, ne croyez pas trop facilement tous les gens que vous rencontrerez. Si vous saviez ce qui se colporte d’erreurs, non seulement sur les personnes, mais sur les pays eux-mêmes ! Quelles hérésies, coloniales surtout, se soutiennent, avec un calme, un sang-froid imperturbables, par des gens qui n’ont jamais vu les choses et les personnes dont ils parlent. Rappelez-vous toujours notre bon vieux dicton :

« A beau mentir qui vient de loin ! » et puisse-t-il vous rendre un peu méfiant !

Notez que je ne veux pas médire de votre bey pèlerin ; je ne le connais point et ne puis par conséquent le juger. Mais ce que je vous affirmerai, sûrement, à propos de Camille Douls, le voici :

Au commencement de 1889, est mort, au puits d’Illighen, près d’Acabli, étranglé par deux Arabes, pendant son sommeil, un étranger qui se faisait appeler El Hadj Abd-el-Malek. « Il marchait vêtu comme nous, — a dit un certain indigène, — mais il n’était pas de notre race : lorsqu’il parlait, les mots qu’il prononçait ressemblaient à ceux que disent les Français. L’on m’a montré ses restes, et j’ai vu l’endroit où il a été tué. » C’est l’officier des bureaux arabes, à qui ces déclarations ont été faites, qui me les a répétées lui-même ; elles figurent d’ailleurs dans les rapports officiels et concordent avec d’autres reçues, à Tanger, d’un ami intime de Camille Douls. Le doute est impossible là-dessus. Après cela, libre à vous de garder une opinion différente.

En tout cas, Douls, n’ayant écrit aucune relation de son voyage, sa mort, demeurée inutile, n’a pu servir qu’à augmenter sans profit le martyrologe des victimes de la folie saharienne.

Il faut dire que vers cette époque même, reprenant une méthode inaugurée plus de trente-cinq années auparavant par le commandant de Colomb, le commandant Deporter, un officier supérieur des Affaires indigènes, composait, par renseignements, un véritable monument géographique. Je veux parler de son ouvrage sur « le Touat, le Gourara et le Tidikelt », que je vous ai déjà nommé. Le seul reproche qu’on puisse faire à ce travail, c’est de ne contenir que des aperçus de détail, et pas une vue d’ensemble.

Enfin, au mois de mars 1896, une mission géologique, partie d’El Abiod Sidi Cheikh, atteignit Tabelkoza, une des premières oasis gourariennes, puis, se jetant, de 150 kilomètres environ, à l’est, poussa jusqu’au fort Mac-Mahon. Elle revint à peu près par le même chemin[1].

Je crois, maintenant, vous avoir à peu près dit ce qui précéda la conquête. C’est, en tout cas, ce que je sais moi-même à ce sujet.

Après quoi, souriant, M. Naimon ajouta :

« Et vous en savez plus long que moi : ne m’avez-vous pas appris des choses que j’ignorais ? »

Ce qui me couvrit de confusion.

(La suite prochainement.) Michel AntAr.

  1. Première mission Flamand. M. Flamand était préparateur de sciences physiques à la faculté d’Alger. Il fut escorté par le chef du poste d’El Abiod, lieutenant S. du Jonchay, et ses cavaliers. La comtesse du Jonchay a suivi son mari d’un bout à l’autre, à cheval ou à méhari, le parcours de la mission (environ 1 500 kilomètres), un voyage peu banal pour une femme.