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depuis quelque temps, une mesure pareille avait été prise à l’égard de Barnabé.

Celui-ci voulait en effet fuir le vaisseau, quitter la contrebande ; la présence et le contact d’Yves avaient réveillé en lui la conscience ; il avait pris en dégoût le métier criminel qu’il exerçait. Cette conversion avait été obtenue décidément à la suite d’un entretien qu’il avait eu avec le cadet des Valjacquelein ; Yves, qui lui était reconnaissant, lui avait dit un jour :

« Vous devriez sortir de là.

— C’est impossible ! Que ferais-je ?

— N’importe quoi.

— Je ne peux rien faire du tout à terre. Si j’y mettais le pied, je serais un jour ou l’autre arrêté. On a su à Brest que j’étais devenu coureur de mer. Si on me voyait reparaître là ou ailleurs, mon affaire serait claire. »

Et Barnabé esquissa, en tirant la langue, le geste significatif d’un homme à qui on serre une corde autour du cou.

« Si vous alliez trouver mon père et mon grand-père à Penhoël, dit l’enfant, qui était loin de soupçonner la situation nouvelle des choses en France, il userait de son influence pour qu’on ne vous inquiétât pas.

— Vous vous trompez. Je serais roué vif », dit tristement Barnabé.

Yvon s’était récrié.

« Vous êtes trop jeune pour comprendre ces choses-là. Je suis un voleur, un malandrin déclaré, reprit Barnabé. J’ai beau en avoir regret et repentir, moi qui ai commencé cela tout jeune et sans savoir, je n’en resterai pas moins un scélérat que tout le monde jugera de son devoir de dénoncer.

— Vous vous trompez, Barnabé. Si je pouvais dire à mon père ce que vous avez fait pour moi, et ce que je vois que vous êtes réellement, mon père irait plutôt jusqu’au Roi pour demander votre grâce. »

Ils étaient revenus souvent sur ce sujet et, petit à petit, ils s’étaient mis à discuter des possibilités, à combiner différents moyens de fuite selon les circonstances. Cette fois, ils avaient préparé tout un plan, de longue main, en prévision de ce débarquement près de Concarneau. Il s’agissait pour eux de réussir à se substituer à de la marchandise dans des caisses destinées à être mises à la côte. Barnabé, patiemment, en avait décloué deux, les avait disposées intérieurement, percées de trous invisibles pour faciliter la respiration. Il avait fait eu sorte que lesclous du couvercle de la caisse jouassent à l’aise dans leurs trous de manière à ce que les deux complices pussent entrer au dernier moment dans l’intérieur et tirer à eux le couvercle sans changer l’aspect extérieur du clouage.

Tout cela présentait de grosses difficultés et des dangers de toute sorte. Mais ils voulaient s’évader l’un et l’autre, coûte que coûte. Le plus difficile était de trouver moyen de s’introduire dans ces boites à l’heure voulue, et pourtant quand il n’y aurait personne dans la cale… Autrement, on pouvait les appeler, remarquer leur absence et tout eût été perdu.

Justement, le chef donna l’ordre de transporter sur le pont toutes les marchandises à débarquer. Les préparatifs d’évasion couraient donc grand risque d’être découverts, car, les sentant vides, les contrebandiers allaient ouvrir ces deux caisses préparées. Les deux amis, en entendant l’ordre du chef, échangèrent un coup d’œil de tristesse et de découragement, mais aussitôt Barnabé fit signe au mousse de l’accompagner à fond de cale. Ils v descendirent en toute hâte avant tout le monde et se chargèrent sur le dos les deux caisses vides, qu’ils montèrent sur le pont. La fatalité voulut que les autres marchandises, apportées ensuite, fussent empilées sur ces deux premières caisses au point de les enfouir complètement. Il ne fallait plus songer à s’y introduire au moment du départ. Ils allaient manquer encore cette occasion, ils s’éloigneraient de leur patrie de nouveau