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seaux armés qui restaient à la France avaient assez à faire de s’occuper des Anglais ; M. de Valjacquelein n’obtint rien.

Il voyait souvent, depuis leur rencontre, la marquise de Nérins et le marquis, sorti de la prison où il avait été jeté comme conspirateur. Celui-ci se préparait à émigrer ; Paris devenait de moins en moins sûr pour la noblesse ; quant à la marquise, informée de la présence de sa fille au château de Penhoël, elle se borna d’abord à dire que c’était très bien ainsi. Un peu plus tard, quand son époux partit pour l’Allemagne, elle déclara Paris inhabitable et se décida à revenir habiter son domaine de Nérins. On ne s’amusait plus à la cour. Madame la marquise jugea que c’était le moment d’aller rejoindre sa fille.

En conséquence, on entassa dans une immense berline de voyage les objets qui lui paraissaient de première nécessité, quantité de magnifiques costumes de gala, deux ou trois laquais galonnés et une provision de poudre à la maréchale. Et l’on partit en cet équipage pour la Bretagne.

Nous passerons sur les incidents nombreux et les événements considérables de ce mémorable voyage d’une mère si pressée de revoir son enfant. Nous ne dirons pas comment aux portes d’Angers, Gilles, le plus effronté des laquais, reçut une maîtresse volée de coups de bâton de la population ameutée, pour avoir cinglé de son fouet un vieillard infirme qui demandait l’aumône ; ni comment, à sa profonde indignation, la superbe marquise, à Nantes, fut tirée de son carrosse, sans cérémonie, et fouillée, elle et tous ses costumes de cour, par des gens du gouvernement choqués de son étalage fastueux et arrogant et qui feignirent de la prendre pour une conspiratrice. En vain, la noble dame donna-t-elle l’ordre à ses laquais de rosser « cette canaille », elle dut en passer par là.

Elle fut tellement outrée de ce manque de respect, qu’entre Nantes et Lorient, dans la berline, elle consomma près d’une demi-livre de poudre et posa cinq mouches sur son noble visage, devant son miroir en porcelaine de Saxe à petits amours roses et à bougies, établi d’une façon permanente vis-à-vis d’elle sur la banquette afin qu’elle put à tout instant contempler son auguste personne.

Fut-ce l’illumination insolite de cette berline qui attira, en pleine forêt, l’attention d’un certain nombre de jeunes seigneurs de grands chemins, qui arrêtèrent les chevaux, assommèrent aux trois quarts les laquais, et se présentèrent incivilement, sans avoir été annoncés dans les formes, aux yeux de Madame la marquise indignée ?

Toujours est-il que cette bande de malandrins, comme il commençait à en courir beaucoup dans le pays de Bretagne, était composée surtout de galopins et même d’enfants, jadis mendiants, maintenant apprentis chouans. Cette chouannerie se conduisit envers la marquise avec la plus grande grossièreté. Un affreux gamin, à cheveux filasse, portant au bout d’un baudrier plus grand que lui un sabre terrible, fit irruption dans la berline, piétina les mules de satin rose de Madame la marquise, et porta une main sacrilège tout d’abord sur le collier de perles qui faisait le tour du cou sacré de la beauté. Non content, l’affreux petit chouan, qui paraissait avoir une prédilection marquée pour les bijoux, s’empara de la fameuse boite à poudre, qu’avait un jour trouvée le Chevalier sur la banquette de l’antichambre de M. de Necker.

Ce jeune bijoutier des bois n’était autre que notre ancienne connaissance Naïk, décidément prédestiné à collectionner tous les médaillons et toutes les boites à portrait de la famille de Nérins. Le rejeton de l’intéressante lignée des Dagorne, de Penhoël, a prospéré depuis que nous ne l’avons vu. C’était un personnage judicieux, comme nous savons. Dès qu’il s’était trouvé en possession de la bourse